Féminisme : Ce n’est pas gagné les filles !
Par René Durand le samedi 17 mars 2018, 16:52 - Divers - Lien permanent
L’association « Culture, patrimoine, loisirs d’Anglars » (dite « Al Cloquier ») organisait, le samedi soir 3 mars, un débat citoyen au café du village sur le thème : « Féminisme et ruralité... ». L’idée était généreuse : retrouver le principe des soirées de discussions autour de questions de société, favoriser le débat-citoyen entre personnes qui pensent que l’échange permet l’émancipation, etc.
Le présent article ne se veut, en aucune façon, une sorte de
compte-rendu de cette soirée, mais mon avis (très partial, sur le sujet) que je
n’ai pas toujours pu exposer en raison de mon rôle d’animateur dans le débat
qui se devait (forcément) de rester un minimum dans l’impartialité
(quoique !).
Commençons, comme nous l’avions fait, par revenir à la définition des mots.
Selon le Larousse, le féminisme serait un :
« mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle
et des droits des femmes dans la société ». Dans la foulée, il
rappelle que ce mouvement « Préparé par les philosophes et les
femmes de lettres du XVIIIe siècle, le mouvement féministe est apparu sous la
Révolution. En 1791, Olympe de Gouges rédigea la fameuse Déclaration des
droits de la femme et de la citoyenne. » Le féminisme a pour
objectif de débusquer, combattre, abolir les inégalités homme-femme dont les
femmes sont les principales victimes. Mais ce soir-là, il ne s’agissait pas de
débattre du féminisme dans l’absolu, mais d’inscrire cette réflexion dans le
territoire rural lotois. Ainsi la question pouvait devenir :
quelle spécificité donne cet ancrage territorial, pour le combat mené pour
l’émancipation des femmes.
Du coup, les témoignages des 3 habitantes du village que nous avions
sélectionnées prenaient sens. Toutes affirmaient leur attachement à
leur commune (parfois en la magnifiant) et leur désir d’y rester, mais en
creux, stigmatisant la vie en milieu urbain. Fuyez la réalité, elle revient au
galop : cette jeune mère de famille qui travaille à Aurillac raconte les
temps de trajet pour y aller, évoque l’absence de crèche, de maternité, de
transports publics, etc. Pour ce qui est de leur émancipation, celle-ci
expliquera comment son statut social actuel n’aurait pu être compris par ses
ancêtres. La dernière décrira son ascension professionnelle à coup de concours
et d’examens affirmant ne pas avoir été victime de discrimination au cours de
sa carrière ?
Le découpage de la soirée en quatre thèmes de discussion bien séparés a
rapidement volé en éclat. Toutefois, les deux premiers ont pu être
traités à la suite des témoignages, mais dans un joyeux mélange. Il est vrai
qu’ils avaient tous deux pour vocation d’aborder des questions concrètes et
qu’il évitait certainement de mettre une cloison étanche entre eux. Dans le
premier, il s’agissait de voir comment elles arrivaient à concilier famille et
leur vie professionnelle. Nous voulions pointer le déficit de services
(sociaux, écoles, santé, transports publics, infrastructures diverses, etc.)
permettant l’émancipation des femmes. Dans un second temps nous pensions parler
des discriminations dans le travail, de la précarité, des temps partiels et des
écarts de salaires. Sur ces deux thèmes, les témoignages précédents ont permis
de traiter de ces inquiétudes, même s’il fallait noter plus globalement un
discours de satisfaction minimisant ou passant sous silence la dure
réalité.
Lors du troisième temps de la soirée, nous avons fait écouter aux
participants un court extrait de l’interview de Simone de Beauvoir (par
Jean-Louis Servan-Schreiber) à l’occasion de la sortie de son livre :
« Le deuxième sexe ». Sur la base des propos de la
philosophe, nous avons organisé une sorte de « débat en mouvement » à
partir de trois affirmations : « On ne naît pas femme, on le
devient... », « Le bébé féminin est fabriqué pour devenir
femme... », « Il n’y a pas de destin biologique,
psychologique qui définisse la femme en tant que telle, c’est une histoire qui
la fait... » Les participants avaient à leur disposition des cartons
de couleurs pour dire s’ils étaient en accord ou en désaccord avec ces
propositions. Chaque groupe se devait de convaincre le clan opposé. Les
discussions furent alors plus passionnées tant les avis étaient tranchés autour
de ces affirmations. Le débat était relancé.
Cette séquence introduisait parfaitement les deux derniers thèmes de la
soirée. Tout d’abord comment mettre fin au harcèlement et aux
violences faites aux femmes ? Ensuite, comment remettre, à la bonne place,
la femme dans la société, alors que son rôle y est systématiquement réduit ? À
ma grande surprise, une partie de l’assistance féminine eut tendance à nier
l’existence de violences dans le territoire rural. « Cela serait
l’apanage des villes, cela n’existe pas dans nos campagnes ». Ces
propos évacuaient le fait que d’une part 70 % des violences faites aux
femmes se passent dans le « huis clos » des couples et que d’autre
part, il y avait moins d’un an, un agriculteur tuait sauvagement son épouse
dans le village de Latronquière situé à quelques kilomètres.
En tout cas, le débat qui rassembla une trentaine de personnes, dont
seulement 5 hommes (16 % !), fut à bien des égards passionnant.
Pour ma part, je me pose encore la question de l’intérêt d’avoir lié féminisme
et ruralité. À la réflexion, je ne vois plus vraiment la pertinence de ce
rapprochement.
À l’aune de ce débat, on peut facilement affirmer que la lutte pour
l’égalité des sexes n’est pas gagnée. Pour conclure, permettez-moi de
reproduire ci-dessous le « post » de « kami kaïe »
une jeune femme de mes amies qui écrivait sur son compte Facebook, ce 8 mars
2018 : « Chez nous, c’est la journée internationale des
droits des femmes, histoire de se souvenir que vous êtes bien gentils avec vos
fleurs, mais je préférerais que le fait de faire des gosses ne soit pas un
frein à la carrière, que d’être stérile ne soit pas une raison valable pour
être répudiée, qu’on n’oublie pas qu’il y a pire situation que les
migrants : les migrantes (qui se font souvent violer au passage histoire
de leur rappeler qu’on peut bien faire ce que l’on veut d’elles, et ce jusqu’à
leur corps...), qu’on oublie pas que certain-e-s continuent à penser qu’on peut
“bien l’avoir cherché” (le viol, les coups, la grossesse non
désirée...)....
Allez je m’arrête là, mais le/la prochain-e qui me souhaite une bonne fête, je
le/la viole, je lui prends 20 % de son salaire, et je lui demande “si
il/elle a prévu quelque chose pour le repas”... »
Les liens :
- Interview de Simone de Beauvoir par Jean-Louis Servan-Schreiber à l’occasion de la sortie de son livre : « Le deuxième sexe ».
- Un article de La Dépèche « Les proches de Djeneba, tuée par son mari : “Elle voyait qu’on ne la croyait pas” »
- Article de La Dépèche sur l’initiative de « Al Cloquier » : « Trois parcours de femmes ».