Oligarchie (exemple 1) : l’État vend ses enfants et ses enseignants à Microsoft pour 13 millions !
Par René Durand le mardi 12 janvier 2016, 16:26 - Politique et critique du libéralisme - Lien permanent
Dans la conférence d'Alain Badiou dont je me suis fait l'écho dans un des derniers billets de mon blog (ICI), le philosophe nous expliquait qu'il était légitime de qualifier le système politique dans lequel nous vivions d'oligarchique. Il affirmait, en effet, que les gouvernements de nos pays sont cantonnés à la bonne gestion des populations de façon à ce que les affaires puissent continuer en toute tranquillité. L’exemple présenté ci-dessous a pour volonté de vous convaincre que nous sommes bien dans cette logique.

Un accord de partenariat a été conclu, le 30 novembre dernier,
entre la ministre de l'Éducation nationale et le PDG de Microsoft
France. Par cet accord, l’État va donc mettre tout en œuvre pour que
cette entreprise puisse avoir libre accès aux élèves et enseignants de ce pays.
Contre la modique somme de 13 millions d'euros, le groupe
Microsoft s’est payé tout cela ! Ami(e) lecteur(trice), vous me
direz que 13 millions d'euros (14,175 millions de dollars) c’est une
grosse somme ! Que nenni, cela ne représente que 2,8 millième du bénéfice
de Microsoft qui culmine à 4,98 milliards de dollars : une broutille
donc !
Et que récupère, en échange de cette somme, la firme créée par ce bon
Bill Gates ? Un partenariat d'une durée de 18 mois avec
l'Education nationale autour de 5 axes :
- Une « Charte de confiance », pas encore finalisée au moment de la signature « permettant d'assurer la protection de la vie privée et des données personnelles des élèves et des enseignants ».
- Plus intéressant, « l'accompagnement et la formation des acteurs du Plan numérique à l'École utilisant les technologies Microsoft, des cadres aux enseignants. »
- « La mise à disposition de solutions pour une utilisation pertinente, facile et optimale des équipements mobiles ». En clair cela veut dire que Microsoft va héberger les données des enseignants et des élèves dans son « cloud » ! Sympa !
- « Une expérimentation pour l'apprentissage du code à l'école ». Microsoft va former les enseignants sur ses logiciels !
- Un plan d'aide de Microsoft aux acteurs de l'e-Éducation...
Le journal Médiapart nous explique en termes plus triviaux ce
que Microsoft s'est offert avec ces 13 millions d'euros :
« En clair, pour une poignée de lentilles, ce gouvernement veut livrer
enfants et enseignants pieds et poings liés à une entreprise coutumière de
l'évasion fiscale à grande échelle, qui continue à pratiquer la vente liée dans
un pays où cette dernière est illégale. Ajoutons que Microsoft se livre à un
espionnage systématique de la population, que ses intérêts sont et ont toujours
été d'enfermer les utilisateurs dans un écosystème totalement verrouillé au
rebours des valeurs d'éducation et d'ouverture que prône l'EN et l'on
comprendra la réaction outragée de centaines de professionnels et de dizaines
d'associations et de syndicats à l'annonce de cet accord. »
Le Point nous donne quelques chiffres. Avec cet accord,
Alain Crozier (président de Microsoft France) « s'offre (on lui
offre ?) sur un plateau 850 000 enseignants, 2 500 VRP
(les chefs d'établissements chargés de mettre en place localement ces nouveaux
outils forcément indispensables) et plus de 12 millions d'élèves,
désormais cadenassés sous Windows, qui n'est pas le plus libre ni le plus
opérant des systèmes. Formatés par Windows, auront-ils plus tard le choix de le
quitter ? »
D’où la réaction indignée de douze organisations regroupant des
associations de la mouvance du logiciel libre et plusieurs syndicats de
l'éducation. Ceux-ci évoquent une « véritable mise sous
tutelle de l'informatique à l'école », par Microsoft. Ils
continuent : « Ce partenariat est d'autant plus regrettable qu'il
va à l'encontre des objectifs de l'école, et témoigne d'une absence de volonté
politique de promouvoir la diffusion et l'appropriation par tous de la
connaissance et des savoirs. [...] Une volonté politique affirmée aurait
pourtant pu mettre en avant des solutions en logiciel libre, respectueuses des
libertés de chacun, des standards ouverts et de l'interopérabilité qui
permettent aux élèves de progresser en informatique sans enfermement
technologique ».
Cette volonté de livrer l’Éducation nationale au géant du logiciel
n’est pas tombée du ciel. Elle a été préparée le lundi 9 novembre
lors d’une réunion en tête à tête, à l’Élysée, entre
François Hollande et Satya Nadella, l’actuel patron de
Microsoft. Celui-ci posait sur la table de celui-là un engagement de
83 millions d’euros d’investissements. L’affaire était dans le sac. Le
journal Le Monde de l’économie, note dans un article du
9 novembre : « Si les grands patrons ont l’habitude de
rendre visite au locataire de l’Élysée, quelle que soit sa couleur politique,
la tendance s’est accélérée sous la mandature de François Hollande, et les
chèques se sont multipliés. Cette année, le chef de l’État a reçu le patron de
l’éditeur de logiciels SAP, Bill McDermott, et deux fois le patron de
Cisco, John Chambers. Le premier a promis d’investir 100 millions
d’euros dans les start-ups françaises, le second 200 millions. En
parallèle, Facebook, Intel, Samsung et Salesforce ont ouvert de nouveaux
centres de recherche à Paris. Des annonces dont le ministre de l’Économie,
Emmanuel Macron, qui s’est rendu à plusieurs inaugurations, s’est
réjoui. »
Le mirage du numérique fait ses effets. Nos élèves ont aussi besoin
d'enseignants, pas que de machines fonctionnant sous Windows. On
aurait au moins pu mettre Microsoft en concurrence avec les fournisseurs de
logiciels libres — Linux, entre autres. Mais c'eût été moins juteux pour
Microsoft.
Le présent billet a été écrit sur une machine fonctionnant uniquement
sous Linux (Kubuntu pour être précis). Pour arriver à ce résultat il
faut, dans un premier temps acheter un ordinateur qui a donc (par défaut)
Windows comme système d’exploitation (c’est le côté vente forcée qui a tant
profité à Bill Gates). Dans un deuxième temps, désinstaller Windows et
réinstaller à la place Linux ! Il faut reconnaître que peu de personnes se
lancent dans l’aventure !
On apprend aujourd’hui dans la presse, que Microsoft vient
d’accepter de régler 8,7 millions d'euros d'impôts sur les sociétés à
l’État français, ce montant concernant les années 2003 et 2004 ! La
situation de ce contribuable semble s’assainir pour ces dernières années
puisqu’il avait payé plus de 72 millions d'euros au Trésor en 2014 pour
des irrégularités commises sur plusieurs exercices ! C’est triste
la vie de contribuable, mais bon, il y a des compensations.
Les liens :
- Le texte de l'accord avec Microsoft sur le site du ministère.
- Le communiqué de presse de Microsoft France.
- La pétition lancée par un certain nombre d'organisations sur le site d'April.