Les leçons à tirer de l’affaire Volkswagen.
Par René Durand le mardi 29 septembre 2015, 23:27 - Déplacement - Lien permanent
Le secteur automobile vient d’être éclaboussé par l’affaire Volkswagen et ses moteurs diesels dont on a dissimulé la nocivité ! Cette affaire est révélatrice de ce système libéral sans une once d’éthique. On nous rebat les oreilles sur les contraintes des entreprises et la nécessité de ne pas porter atteinte à leur liberté d’entreprendre, car cela aurait de graves répercussions sur l’emploi, etc. Voilà le résultat ! Tout compte fait, cette affaire est assez représentative du mode de fonctionnement de notre système. Je vous propose d’en développer quelques aspects.

Rappelons les faits. Dans chaque moteur de voiture, se
trouve implanté un calculateur avec un logiciel qui mesure et analyse en temps
réel un ensemble de paramètres (température du moteur, des gaz d’échappement,
poids en charge, etc.) afin d’adapter au mieux le comportement de ce moteur.
Pour pouvoir commercialiser un véhicule, le constructeur doit le soumettre à
une batterie de tests, destinés à mesurer le niveau d’émission de composants
polluants. Dans le cas qui nous intéresse, Volkswagen avait introduit dans ce
logiciel des lignes de codes en capacité de détecter (par son comportement) que
le moteur était en phase de test. Quand ce mode était détecté, le moteur
adaptait son comportement de manière à ce que les mesures des rejets soient les
plus favorables possible. Par contre, lors d’une véritable conduite sur route,
la réalité mesurée donnait des valeurs bien supérieures. Il est
aujourd’hui admis que 11 millions de véhicules étaient équipés de ce système
frauduleux. Le PDG du groupe (qui comprend douze marques dont
Volkswagen, Audi, Porsche, Seat, Skoda, Lamborghini, etc.), Martin Winterkorn a
reconnu les faits le 20 septembre. Pour l’instant, le constructeur est
sous la menace d’une amende de 16 milliards d’euros (18 mds $) pour une
violation de la loi américaine sur l’air. Conséquence du
scandale : la capitalisation boursière du groupe a chuté de 25 milliards
d’euros entre le lundi 21 et le mardi 22 septembre.
Ne pensons pas que seul Volkswagen aurait triché ! Depuis
la mise à jour du scandale, les constructeurs français en particulier, grands
promoteurs du diesel, font profil bas et pour cause. La ministre de l’Écologie,
Ségolène Royal, annonçait le 25 septembre, que des contrôles
aléatoires avaient commencé sur un panel de véhicules. Le journal
Reporterre nous apprend que « L’enquête, menée par
l’association ICCT, qui est à l’origine de l’affaire Volkswagen, portait sur
trente-deux véhicules de dix constructeurs différents, commercialisés en
Allemagne. Dont une Renault compacte de type Mégane. Toutes homologuées
officiellement, ces voitures ont fait l’objet d’une contre-expertise, en
subissant chacune deux tests antipollution …/... Soumis au test NEDC
(le premier), le véhicule Renault est le seul à dépasser la barre fatidique de
80 mg de dioxyde d’azote par kilomètre …/... C’est encore plus
frappant avec le test WLTC, où la Renault échoue cette fois très
largement …/... Elle affiche un taux d’oxyde d’azote rejeté neuf fois
supérieur à la norme Euro 6 qu’elle doit respecter. Dans ce deuxième volet
d’analyses, Volvo et Hyundai sont également épinglés, pour des taux quatorze
fois et sept fois plus élevés que le seuil légal. »
On le savait tous, le diesel est néfaste pour notre santé.
Chaque année, en France des milliers de morts peuvent être directement lui être
imputées, notamment en raison des particules fines (de 2,5 µm ou
10 µm de diamètre). Sont concernées les personnes les plus vulnérables,
plus jeunes, plus vieilles et plus pauvres. Un ensemble d’organisations et
d’experts de la santé publique insistent régulièrement sur la dangerosité du
diesel. L'OMS, par exemple, nous dit que les gaz d'échappement
de ces moteurs sont cancérigènes. En France, le Dr Patrice
Halimi dénonce : « On sait depuis très longtemps que le
diesel est un mauvais choix sanitaire, et que cette politique publique (visant
à promouvoir un parc diesel en France) est une erreur. » À ce jour,
en France, les véhicules équipés de moteurs diesel représentent près de
60 % des véhicules (environ + 1,5 % chaque année) et 73 % dans
les nouvelles immatriculations. En termes de santé publique, il me
semble indispensable de rapidement mettre fin au développement du diesel et
dans un premier temps de taxer à son juste niveau ce carburant.
Si Martin Winterkorn, le patron tricheur, démissionne, il le
fait (au moment où j’écris ces lignes) dans de relatives bonnes conditions. Si
l’on en croit la presse, il aurait accumulé des droits pour une pension de 28,6
millions d'euros au cours de ses 8 années passées à la tête du groupe. Plus
encore, il pourrait prétendre à une indemnité supplémentaire de deux années de
salaire. Comme c’est le deuxième patron le mieux payé d'Allemagne, cela
représente 33,2 millions d'euros. Si tout se passe bien, et qu’il n’est
pas reconnu coupable, il pourrait toucher, au total, 61,8 millions
d’euros ! Cela dit, le procureur de Brunswick, en Basse-Saxe, a
ouvert une information judiciaire pour fraude à son encontre.
Mais ce scandale Volkswagen pose aussi la question des logiciels libres
et des droits d'auteur. Guillaume Champeau nous apprend, dans sa revue
Numérama que : « Les manipulations
technologiques opérées par Volkswagen pour tricher sur la qualité réelle de ses
moteurs diesel pourraient-elle avoir comme conséquence inattendue de provoquer
une révision de la loi américaine sur le droit d'auteur ? C'est le souhait
de l'Electronic Frontier Foundation (EFF), qui estime que le constructeur
allemand n'aurait pas pu truquer le logiciel qui contrôle le moteur pour
détecter les tests de mesure antipollution, si la loi avait autorisé les
chercheurs à réaliser une rétro-ingénierie sur le firmware des véhicules, comme
ils le demandent. Or aux États-Unis, la loi sur le droit d'auteur fait obstacle
à ce que les chercheurs examinent le fonctionnement des firmwares et découvrent
de telles manipulations. Ils sont réputés être protégés par le Digital
Millenium Copyright Act (DMCA), et ne peuvent pas faire l'objet de
décompilations et de diffusion. Ironie de l'histoire, les constructeurs
automobiles avaient expliqué que le fait d'autoriser des manipulations du
firmware permettrait aux automobilistes de débrider les moteurs et donc
d'émettre des polluants au-delà des limites autorisées. »
April, principale association française de promotion et de défense du
logiciel libre, explique dans son communiqué de presse :
« L'enjeu de la fraude de Volkswagen est considérable. Il s'agit d'une
question de santé publique. Ce cas démontre les conséquences considérables que
peut avoir le verrouillage du code, code qui désormais pilote de nombreux
objets de notre quotidien. La formule [maîtriser son informatique ou être
maîtrisé par elle] est plus que jamais pertinente. »
Ce qu’il y a d’intéressant dans ce scandale Volkswagen, c’est que
parfois le système se prend « les pieds dans le tapis » et dévoile
ainsi ses failles et ses mensonges. Cela ne dure qu’un temps, puis le
cours des choses reprend comme si rien ne s’était passé. Dès lors, se
pose la question : pourquoi les citoyens ne s’en indignent pas plus et
n’en tirent pas les choix politiques qui s’imposent !
Les liens :
Le communiqué de presse de Volkswagen
France.
Le communiqué de presse de
Ségolène Royal, ministre de l’Écologie.