Il semblerait bien qu’en plus d’être pauvres, ces « gens-là » soient de très médiocres fraudeurs, alors que…
Par René Durand le mardi 2 mars 2021, 20:57 - Politique et critique du libéralisme - Lien permanent
Ce qui va suivre essaie de démontrer — de manière irréfutable — qu’il n’est pas anormal que ceux « qui ne sont rien », « qui sont incapables de traverser la rue pour trouver un travail », les « sans-dents » restent dans cet état de misère qui les caractérise. C’est bien mérité, car voyez-vous, ces « gens-là » — Monsieur — sont nuls pour frauder majestueusement. Ils le font « petits bras », médiocrement, et bien sûr ils sont traqués, pourchassés, conspués, etc. Ils ne sont tout simplement pas à la hauteur de ces « premiers de cordé », qui eux savent le faire.
Bon, allez, je vais donner un peu de contenu à mon propos et vous montrer que j’ai raison !
C’est une obsession de notre presse quotidienne régionale, de La Dépêche (« Fraude aux prestations sociales : il y a 2,4 millions de bénéficiaires de trop à la Sécu ») au Dauphiné Libéré (« Fraude à la CAF en Savoie : elle avait perçu 22 000 euros en deux ans »). Mais parce que c’est aussi celle de la droite et de ce Président. L’origine de tous nos maux, ce qui gangrène notre société et pousse notre système à la ruine, a un nom : la fraude sociale. Il faut montrer que l’on fait quelque chose pour lutter contre. En un an, ne sortent pas moins de deux rapports parlementaires sur ce sujet. Le premier rédigé par la députée LREM Carole Grandjean et la sénatrice centriste Nathalie Goulet fin 2019. L’autre, dans le cadre d’une commission d’enquête de l’Assemblée dirigée par le parlementaire UDI Pascal Brindeau en septembre 2020. Enfin, un rapport de la Cour des Comptes de septembre 2020 intitulé « La lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Des progrès trop lents, un changement d’échelle indispensable » vient étayer ma démonstration.
Ces fraudes s’élèveraient — selon la Cour des comptes — à un montant total d’un milliard d’euros pour 2019. Certes, me direz-vous, ce n’est pas rien et ils ont raison de dénoncer cela. Je partage cet avis. Mais, regardons-en le détail :
- La branche famille (RSA, Aide au logement, Prime d’activité, etc.) culmine à 323,7 millions d’euros.
- L’Assurance Maladie à 286,7 millions. Précisons que ce montant comprend la fraude des établissements, des professionnels de santé et enfin des assurés, mais aussi des employeurs.
- Assurance vieillesse pour 160,2 millions,
- Pôle emploi (Aide au retour à l’emploi) pour 212 millions.
Le journal Médiapart note sur cette dernière que personne ne met jamais en regard le montant les indemnités versées, près de 31 milliards d’euros la même année ce qui donne un pourcentage de 6 pour 1000. Autre exemple, la fraude au RSA est importante (100 millions d’euros), mais ne concerne que 20 000 personnes sur 2,5 millions de foyers allocataires (soit 5,3 millions de personnes) et représente moins de 1 % des ayants droit.
Bon ne nous attardons pas, sur ces misérables tricheries et regardons ce qui relève de l’excellence, celle des très riches. Il est vrai que la presse sort de plus en plus régulièrement des articles sur ces affaires d’évasion fiscale (« Panama Papers », « Paradise Papers », « MauritiusLeaks », « SwissLeaks », « taxe GAFA », « OpenLux », etc.). Les différents papiers sur le sujet donnent tous une évaluation des montants détournés. Dans son dernier dossier « Évasion fiscale et paradis fiscaux », OXFAM nous apprend que :
- Pour les entreprises « plus de 40 % des profits réalisés par les multinationales seraient délocalisés artificiellement dans les paradis fiscaux à l’échelle mondiale. Un chiffre colossal ! »
- Pour les individus « l’équivalent de 10 % du PIB mondial est ainsi détenu offshore par des particuliers sous la forme de dépôts bancaires, d’actions, d’obligations et de parts de fonds de placement. »
Certes me direz-vous, il faut être attentif aux termes employés et ne pas tout confondre.
- La fraude consiste pour un contribuable (personne physique ou morale) à contourner volontairement la législation fiscale par des manières illicites.
- L’optimisation c’est « échapper à l’impôt par des astuces, à l’aide de niches ou de régimes dérogatoires […]. Si l’optimisation est légale, elle peut être juridiquement considérée comme illégale lorsqu’elle utilise des moyens interdits ou si elle constitue un abus de droit, une injustice ».
- L’évasion fiscale : est « à l’intersection de l’optimisation et de la fraude. Elle recouvre l’ensemble des comportements […] qui visent à réduire les impôts dont ils doivent normalement s’acquitter via des montages sans véritable substance économique justifiant ces comportements. »
Pour la France, le syndicat « Solidaires Finances publiques » a chiffré « l’évasion fiscale des entreprises ET des particuliers à au moins 80 milliards d’euros. Cela représente un montant supérieur au budget de l’Éducation nationale (52 milliards d’euros en 2020), l’un des postes de dépense les plus importants de l’État. » Reconnaissez que nous sommes loin du petit milliard des fraudes sociales.
Depuis début février, le journal Le Monde (en collaboration avec d’autres quotidiens), après un travail de compilation de données accessibles à tous (que le ministère, bien évidemment, connaît lui aussi), a décidé de publier un dossier sur le Luxembourg intitulé « OpenLux - Enquête sur le Luxembourg, coffre-fort de l’Europe » (réservé aux abonnés).
On y apprend que « Ce coffre-fort séduit particulièrement les riches Français : notre enquête révèle qu’au moins un tiers des 500 plus grandes fortunes françaises répertoriées par le magazine Challenges sont propriétaires de sociétés luxembourgeoises. Dans le cénacle très fermé des cinquante familles les plus fortunées, trente-sept sont présentes au Luxembourg. […] Le Monde a établi que ces trente-sept familles détenaient de l’ordre de 92 milliards d’euros d’actifs dans 535 sociétés au Luxembourg. » Une vingtaine d’entre elles a accepté d’expliquer aux journalistes les raisons de leurs montages luxembourgeois, « déroulant à peu près toutes les mêmes explications. Un discours dans lequel les avantages fiscaux sont invariablement passés sous silence. À leurs yeux, le pays a un charme indéniable : rien n’y change — ou alors, très lentement. » Quand ce quotidien élargit sa vision, c’est au total « 15 000 Français [qui] possèdent des sociétés au Luxembourg, totalisant au moins 100 milliards d’euros d’actifs, soit 4 % du PIB français. Une pratique souvent à la frontière de la légalité. »
Bon il est temps de mettre fin à ma démonstration et de résumer.
— D’un côté, les « miséreux », les « premiers de corvées », ils sont invisibles, mais pour autant stigmatisés, car leurs exactions seraient à l’origine de tous nos malheurs, etc. C’est vrai, pour une infime minorité d’entre eux, ils fraudent, mais le font médiocrement (un petit milliard), petitement, pauvrement, etc. Mais on les dénonce à tour de bras dans les magazines…
— De l’autre, les « très riches », les « premiers de cordé », qui font la une des gazettes, que l’on décore, adule et montre en exemple, etc. Qui, pour une majorité d’entre eux, soustraient leur fortune de l’impôt, optimisent, évadent ou fraudent, mais le font avec envergure, une centaine de milliards, et donc ruinent notre pays… Mais qu’on laisse faire en toute impunité, « silence radio » sur ces scandales…
Je me trompe là ?
Dernière minute :
Dans un article publié ce 26 février et intitulé : « Avons-nous les riches les plus cons du monde ? », les journalistes de Marianne écrivent : « Mauvais employeurs ? Mauvais investisseurs ? Mauvais contribuables ? Les ultrariches en France n’ont pas le sens du devoir chevillé au corps ni l’esprit patriotique. Agaçant, d’autant qu’ils sont toujours plus riches, même en temps de Covid ! ». Ce n’est pas faux, me semble-t-il !
Les liens :
- Attac-France : « Ce que le scandale OpenLux nous apprend du capitalisme français ».
- OXFAM France : « Évasion fiscale et paradis fiscaux : tout comprendre sur l’injustice fiscale pour mieux la combattre ». Télécharger le EBOOK.
- La Cour de comptes : « La lutte contre les fraudes aux prestations sociales ». Télécharger le rapport.
- Journal Le Monde : « OpenLux : des oligarques et de riches familles pris au piège de leur propre labyrinthe financier. » (Réservé aux abonnés)