Suite à un combat remarquable, une famille sans-papiers a été régularisée. Ce serait une erreur de ne pas « crier victoire » !
Par René Durand le jeudi 11 février 2021, 22:14 - Vivre ensemble - Lien permanent
L’histoire de cette famille est, à bien des égards, banale et exemplaire de la politique de découragement par la tracasserie, conduite par ce gouvernement. Banale, car elle s’inscrit dans cette idéologie néolibérale qui refuse l’autre, celui qui n’est pas né du bon côté. Il ne doit pas exister et doit être rendu « invisible ». Des comme celle-là il y en a des milliers et elles se terminent généralement par des drames, des refoulements, des vies dans la clandestinité, etc.
Mais on le sait tous, cela n’est pas inéluctable. Ce Président, son ministre de l’intérieur et leurs préfets doivent tous, aujourd’hui, prendre en compte la capacité des citoyens à se rassembler. Ils sont très nombreux à côtoyer, à fréquenter, à aider et défendre les victimes de cette politique. Elle leur apparaît de plus en plus « inadmissible – inhumaine – révoltante » et « c’est de la honte et de la colère » qu’ils éprouvent. Dès lors, ils agissent et obtiennent des avancées.
Et c’est justement à cause de « petites victoires », identiques à celle que je vais vous conter, que nous devons les « monter en épingle » ! Car, même si le résultat est modeste, chaque fois la mobilisation est déterminante et ce pouvoir recule. Dans cette période où le mécontentement grandit de toute part, où ces dirigeants n’ont d’autres stratégies que d’empiler les mesures répressives pour s’en sortir, il semble important de communiquer sur le fait que — localement — il a été possible de les faire plier.
Premier acte.
Quand ils arrivent en France en 2016, ils ont tous deux la trentaine et sont accompagnés de leurs deux enfants mineurs. Ils ont fui leur pays pour des raisons évidentes de sécurité.
- Quelques mois après, leur demande d’asile est rejetée par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides)
- Il faudra un an pour que cela soit confirmé par la CNDA (Cour nationale du droit d’asile).
- Suite logique, le représentant de ce gouvernement refuse de leur donner un titre de séjour et leur fait obligation de quitter le territoire (OQTF).
- Trois mois plus tard, par un premier jugement, le tribunal administratif casse la décision et enjoint ce préfet à réexaminer la situation.
- Il passe outre, persiste et leur délivre une nouvelle OQTF.
- Un second jugement de ce même tribunal administratif rejette le recours en annulation déposé par les avocats de la famille.
- Ce jugement est confirmé par la cour administrative d’appel.
- Conforté dans son attitude, le préfet met de nouveau en demeure ces personnes à partir et prononce à leurs égards une interdiction de retour de deux ans.
À cette date, ces gens sont depuis plus de 4 ans en France et un troisième enfant vient de naître.
Deuxième acte.
En ce début d’année 2020, ici comme partout ailleurs, la situation des réfugiés présents ne cesse de se dégrader. On assiste à une recrudescence des procédures d’expulsion de déboutés du droit d’asile, en particulier des Albanais et Arméniens.
- Dans les premiers jours de février, à l’appel de plusieurs organisations, ils sont 300 à manifester leur désapprobation devant la sous-préfecture.
- Immédiatement, un collectif se crée, composé d’une multitude d’associations et de membres de la société civile.
- Des actes symboliques se mettent en place comme celui d’accompagner systématiquement les victimes à leurs pointages en gendarmerie.
- À la fin du mois une centaine de personnes se rassemblent, dès 7 h 30, devant le collège à l’appel de la FCPE pour soutenir une élève de 5e.
- Début mars le collectif se structure.
- Des articles dans la presse quotidienne régionale fleurissent.
- Une première rencontre a lieu en préfecture.
Reste que la crise sanitaire et sociale qui se développe, les confinements qui s’enchaînent compliquent les choses. Tout se met en sommeil.
Troisième acte.
Saisi de nouveau par les avocats des victimes, le tribunal administratif rend un nouvel arrêt en décembre 2020. Le juge, pour asseoir sa décision, invoque l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (d’ailleurs régulièrement bafoué par l’attitude de ce gouvernement).
Quels en sont les termes ?
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi… »
Prenant acte qu’ils (les parents et leurs 3 enfants) montrent une parfaite implication, une volonté de s’intégrer, un apprentissage assidu de notre langue et qu’ils bénéficient d’un « important réseau relationnel local » (voilà acté la mobilisation dont on parlait ci-dessus !). En conséquence, il constate que les décisions du Préfet ont porté « au respect de leur vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises et donc on méconnut l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »
L’acte administratif du représentant de l’État étant annulé, il se trouve dans l’obligation de revoir sa copie. Mesurant, lui aussi, la forte mobilisation de ce printemps, il cède. Dans les semaines qui suivent, ces gens vont pouvoir récupérer leurs nouveaux titres de séjour.
Fin de l’histoire ?
Est-ce que cela se termine bien ? Certainement, pour quelques années ils vont pouvoir enfin vivre tranquillement dans la ville qu’ils ont choisie.
Mais ce n’est pas le cas pour toutes les personnes qui sont en attente d’une régularisation, dans l’angoisse du lendemain et par là même dans la précarité. Le combat continue. Le temps de la crise sanitaire, quelques efforts sont faits pour mettre une poignée de familles (dont certaines avec enfants) provisoirement à l’abri. Mais soyons sans illusion, cette politique se fonde sur le découragement, persuadés qu’ils sont de la théorie de « l’appel d’air ». Ils sont convaincus que le moindre signe d’humanité de leur côté va inciter des « hordes » de migrants à venir. Alors, place à l’horreur, aux ratonnades, à la lacération des tentes, à la destruction d’effets personnels. « Passé les bornes, il n’y a plus de limites ! »
Il convient donc de rester vigilant et mobilisé. D’autant que les chiffres 2020 publiés par le ministère de l’Intérieur (et qui font l’objet d’une virulente dénonciation de la Cimade) sont alarmants : « Sans surprise, la fermeture des frontières décidée en mars et le fonctionnement réduit des préfectures et de l’Ofpra ont entraîné un effondrement du nombre de visas d’entrées, des titres de séjour délivrés et une baisse importante des demandes d’asile. Le nombre de visas délivrés est en effet passé de 3,5 millions à 712 000, celui des premiers titres de séjour de 277 406 à 220 535 et celui des demandes d’asile enregistrées de 143 000 à 93 000. Derrière ces chiffres, La Cimade a constaté en 2020, dans son rôle d’accompagnement sur le terrain des personnes étrangères, la persistance et parfois l’aggravation des violations de leurs droits fondamentaux. »
En guise de conclusion…
C’est certain, ce que ce « collectif » a obtenu avec la régularisation de cette famille, ce n’est pas seulement la conséquence de dossiers bien préparés (même si), ou d’une justice plus clémente. Non, c’est le résultat d’une mobilisation qui a su se montrer efficace et crédible.
Oui, en ces temps de perte de repères il faut mettre en avant ce type de victoire, même minime ! Comme on le voit, ces mobilisations citoyennes sont suffisantes pour que le représentant de l’État recule et cède, mais aussi pour redonner aux valeurs de notre République un peu du lustre que ces politiques leur font perdre.
Il est indispensable de faire de cela un exemple…
Les liens.
- Article dans le blog de la Cimade sur Médiapart : « La poursuite d’une politique migratoire restrictive pendant la pandémie ! »
- Une vidéo de la Cimade : « La Cimade répond aux statistiques du ministère de l’Intérieur ».
- Vidéo de l’interview de Damien Carême (eurodéputé écologiste et ancien maire de Grande-Synthe) : « Sur les migrants, le gouvernement joue l’épuisement ».