Billet foutraque : Notre-Dame et les « Invisibles »
Par René Durand le mardi 23 avril 2019, 19:55 - Réflexions - Lien permanent
Je me le promettais depuis plusieurs semaines. Il fallait bien que j’y revienne un jour, on ne peut abandonner un « blog » ! Me revoilà donc, après une interruption de presque 3 mois. Pour ce retour (avec dignité ?), permettez-moi ce « billet foutraque » qui a pour vocation de vous montrer que je suis toujours là, de plus en plus « radicalisé ». Allez, on va se pencher sur le cas de l’incendie de cet édifice cultuel qui défraya récemment la chronique.
Dans la soirée du lundi 15 avril, un violent incendie,
d’origine manifestement accidentelle, va ravager la couverture de la cathédrale
Notre-Dame de Paris. Propriété de l’État, la destruction de la toiture
de ce bâtiment symbolique, filmée en direct à la télévision, va toucher nombre
de nos concitoyens. Même si je me suis senti concerné (ah ce luxe d’images !),
il ne s’agit au final que d’un « fait divers » qui dévaste
partiellement un monument historique de dimension nationale mais n’a fait
aucune victime. Il n’y a pas eu « mort d’homme ». Pourtant
dans les jours qui suivirent nous avons assisté à plusieurs prises de décisions
et autres évènements qui ne sont pas sans poser question.
Dès le lendemain, la main sur le cœur, plusieurs grandes fortunes et
entreprises multinationales (Arnault, Pinault, Bettencourt, TOTAL, etc.)
annoncent des « dons » de montants faramineux (plusieurs
centaines de millions) dont une importante partie (en raison des règles
fiscales en cours) serait financée par vous et moi. En gros, ces généreux
mécènes, riches du travail de leurs employés, riches d’une optimisation fiscale
pointue (voire d’évasion pour certains) allaient (se disaient prêts ?) à
contribuer à la reconstruction du toit de Notre-Dame. L’argent qu’ils avaient
accumulé (en particulier grâce aux impôts qu’ils n’avaient pas toujours payé à
la hauteur de leurs revenus) leur permettait de briller l’espace d’un instant à
la une des journaux. Depuis, en raison des critiques dont ils faisaient
l’objet, certains ont, semble-t-il, renoncé aux abattements dont ils pouvaient
bénéficier.
Comme à l’habitude, et c’est une fois de plus justifié, on a remercié
les pompiers qui ont lutté au péril de leurs vies pour sauver ce
monument. J’approuve cette décision de ce gouvernement et m’associe à
ces félicitations. Mais n’aurait-il pas été préférable de donner régulièrement
à ce service public les crédits nécessaires à leur travail ? C’est pour
réclamer des moyens à la hauteur de leurs besoins qu’ils avaient déclenché un
vaste mouvement de grève dans le pays en décembre 2018.
Par exemple, lors de ce mouvement, un délégué CGT de cette
profession expliquait : « On envoie des engins sur des
incendies avec des effectifs incomplets, les délais d’intervention dans
certaines zones rurales posent question, on est en sous-effectif les dimanches
et les jours fériés ».
Enfin, cet incendie était l’occasion, pour notre Président, de se
refaire une santé quant à la politique qu’il conduit en matière de préservation
de notre patrimoine historique. Pourtant, la mise en œuvre de cette
logique d’austérité, conséquence des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux
riches (CICE et autres ISF) a eu aussi pour effet la baisse des
crédits pour son entretien. Le site « La tribune de
l’Art » nous explique dans un article du
28 septembre 2017 à l’occasion de la présentation du budget de la
culture « Les musées sont sacrifiés, mais les monuments historiques ne
le sont pas moins. Non seulement les crédits de paiement baissent entre 2017 et
2018 (- 900 000 € qui équivalent à -0,3 %), mais cette baisse
intervient dans un contexte déjà très défavorable. Rappelons que selon toutes
les associations de protection du patrimoine, le budget minimum nécessaire
annuellement est de 400 millions d’euros (un chiffre qu’il faudra
certainement revoir à la hausse tant l’abandon actuel augmente encore les
besoins). On atteindra péniblement 332,9 millions d’euros de crédits de
paiement en 2018 ! »
Si cet incendie, qui n’a fait aucune victime humaine, a pour effet de
pouvoir mobiliser, en quelques jours, pratiquement un milliard
d’euros, certains ont été surpris de ces brusques élans de générosité
au regard de la misère qui nous entoure. Que penser de l’insolence de
ces chiffres quand on sait qu’en 2018, 566 personnes (511 en 2017) sans
domicile sont décédées dans la rue ? Selon le rapport du
collectif « Les morts de la rue », publié le
14 mars dernier, ces personnes avaient en moyenne 48 ans, cinquante
d’entre elles étaient des femmes et treize étaient des mineurs, dont six de
moins de 5 ans. Cette situation a même amené un twett très amer de
la Fondation Abbé Pierre dès le lendemain. « 400 millions
pour #NotreDame, merci @KeringGroup @TotalPress @LVMH pour votre
générosité : nous sommes très attachés au lieu des funérailles de l’abbé
Pierre. Mais nous sommes également très attachés à son combat. Si vous pouviez
abonder 1 % pour les démunis, nous serions comblés. — FondationAbbéPierre
(@Abbe_Pierre), 16 avril 2019 »
Au moment où j’écris ces lignes, des attaques coordonnées contre des
églises (et des hôtels) au Sri Lanka ont fait au moins 300 morts. Ces
attaques, non encore revendiquées, qui visaient des lieux fréquentés par des
catholiques pour Pâques ont aussi fait plus de 500 blessés. Au Yemen, pays
en guerre avec L’Arabie Saoudite — où les armes françaises semblent faire des
miracles — on estime le nombre de morts, après un peu plus d’un an de
conflit à 10 000 ! Tout cela se fait dans l’indifférence
générale. Le groupe TOTAL participera-t-il à l’aide humanitaire au Yemen ?
Ou encore la famille Pinault soutiendra-t-elle les victimes du Sri
Lanka ?
Non, ces victimes-là, comme plein d’humains de notre terre, sont toutes
invisibles. Invisibles comme dans le film éponyme de
Louis-Julien Petit que j’ai vu vendredi soir. Cette comédie
dramatique, qui rassemble entre autres Audrey Lamy,
Noémie Lvovsky, Corinne Masiero et
des femmes SDF (invisibles donc) qui tiennent leur propre rôle, est une vraie
merveille. On aimerait que toutes ces femmes et tous ces hommes, aient un toit.
C’était d’ailleurs une promesse qu’Emmanuel Macron avait
prise devant les Français lors de ses vœux pour l’année 2018 :
« Je veux que nous puissions apporter un toit à toutes celles et ceux
qui sont aujourd’hui sans abri. Le gouvernement,beaucoup engagé ces derniers
mois dans cette direction, a beaucoup amélioré les choses, mais il y a encore
des situations qui ne sont pas acceptables. Que je n’accepte pas davantage que
vous. Nous continuerons donc l’effort indispensable pour réussir à pleinement
respecter l’engagement que j’ai moi-même pris devant vous. Comptez sur ma
détermination entière en la matière. »
Manifestement Emmanuel Macron préfère dépenser plusieurs
centaines de millions dans la réfection du toit d’une église dans les cinq
prochaines années. Tout cela, pour qu’elle soit inaugurée en grande pompe avant
les JO de 2024, autre gouffre à fric de cette
« startup nation ».
Décidément les pauvres, les « sans dents », les invisibles,
il n’en a rien à faire ce Président... Sans compter qu’ils coûtent « un
pognon de dingue » !
Liens :
– La photo qui illustre cet article (prise par votre serviteur) montre le
dispositif anti-SDF mis en place devant le salon de coiffure
« Stephan » de Toulouse, « Créateur d’excellence », qui,
s’il « aime son métier et ses clients », déteste les SDF...
– Site officiel du collectif « Les morts de la
rue ».
– Site officiel de la « Fondation Abbé
Pierre ».
– Le film « Les invisibles » de Louis-Julien Petit sur
Wikipédia.