Je voudrais vous parler d’un homme...
Par René Durand le lundi 4 février 2019, 17:28 - Vie de la famille - Lien permanent
D’un homme formidable qui, à la fois, était capable de faire des additions de colonnes de chiffres à la vitesse du déplacement de son crayon, des opérations hallucinantes en calcul mental, mais qui, au final, n’aura pas été foutu de compter jusqu’à 99, voire 100, et même plus si affinité !
Joseph Durand, mon père, né le 29 février 1920, aura donc attendu 98 ans et 11 mois pour nous quitter.
J’aimerais aujourd’hui extraire de cette vie si bien remplie deux
anecdotes.
Nous sommes le samedi 2 octobre 2010. Michèle
et moi sommes descendus pour le week-end à Grenoble. Nous sommes en plein
conflit sur les retraites (déjà) et mon père (il a alors 90 ans), fortement
engagé dans sa section syndicale de retraités « Force Ouvrière »,
pense à juste titre important de rejoindre ses copains et de manifester avec
eux. Et nous de l’accompagner... Il faut bien admettre qu’en région parisienne
nous étions, nous aussi, abonnés à ce combat et ses manifs. D’un coup, mes
derniers lambeaux de « stalinisme » s’effondrent. Me voilà au cœur
des troupes « social-démocrates » sous la bannière de
« FO ». Au point de regroupement des militants, il salue ses
camarades. Tout va bien, son ami Jacques B. est là. Ça bouge, le cortège
s’ébranle. On remonte Jean-Jaurès jusqu’aux Grands Boulevards et l’on se dirige
vers la préfecture. Moi, au bout d’un moment : « Tu dois être
fatigué, tu ne veux pas qu’on arrête ? ». Premier refus. Par la
suite, je vais renouveler ma demande : « Tu dois être fatigué, tu ne
veux pas qu’on s’arrête ? ». Et chaque fois, je vais essuyer la même
réponse : non. Il faut avouer que pour ma part j’en ai « plein les
pattes », mais, Michèle et moi, nous le suivons. Jusqu’au bout. Puis, on
ira boire une mousse place Victor Hugo avant de rentrer à Sassenage. Il
m’a épuisé !
Un peu plus tard, regardant dans les tiroirs de son logement, je
vais trouver un document qui prendra beaucoup d’importance pour moi : une
fausse carte d’identité de papa soi-disant établie le
7 mai 1943 par un commissaire de police de Grenoble. Ce
Georges Guillaud (le nom de famille de sa mère) serait né le
29 février 1916 (on garde le jour de naissance). Ce jeune homme était
donc, comme beaucoup de gens de son époque, un de ces « dangereux
terroristes » qui mettait en péril la République de ce Maréchal là,
qu’aujourd’hui encore, on qualifie de « grand soldat ». Certains
« bien-pensants » de son village n’étaient — semble-t-il — pas les
derniers à dénoncer ces jeunes qui disparaissaient pour rejoindre les
combattants des FFI ou des FTP. Son petit frère René, il avait alors 20 ans, y
laissera la vie en 1945. Il y a quelques années, on avait essayé avec une amie
d’enfance, nos deux pères étaient copains en ce temps-là, de lui faire raconter
par le menu cette période de la Seconde Guerre. L’accouchement a été difficile,
tant il peut être complexe de creuser au tréfonds de la mémoire d’un vieux
monsieur alors âgé de 93 ans.
Mon père aimait bien le film que Noël-Noël avait tourné en 1946 :
« Le père tranquille ». Il m’avait très tôt proposé
de lire le livre d’où le scénario avait été tiré. C’est vrai qu’il y
avait du « père tranquille » chez lui, mais avec un côté de
« tête de pierre », comme se plaisait à le dire ma
sœur : une farouche détermination, derrière ce vernis de douceur, de
tranquillité et d’ironie.
J’aimerais tant, que de ce héros du quotidien, on ne se souvienne que
du « pince-sans-rire » délicieux qui charmait avec ses
répliques les vieilles dames qui mangeaient à sa table, à l’EHPAD de
Saint-Geoire-en-Valdaine.
En guise d’illustration, Françoise notre sœur aimait toujours raconter cette
répartie légendaire qui fait maintenant partie du patrimoine familial. Papa
demande à sa femme Léone : « Chérie qu’est-ce
qu’il faut que je mette comme cravate aujourd’hui ? ».
Elle : « Mais tu me poses chaque fois la question. Tu m’énerves,
tu sais. Mais si j’étais morte comment ferais-tu ? » Et lui de
répondre : « Eh bien, j’en mettrais une
noire ! ».
Joseph Durand, c’était aussi ça...
Commentaires
Beau portrait touchant d'un vieux père digne. Mon beau père, né en 26 est mort il y a deux ans de ne plus pouvoir tenir debout, mais c'était un brave aussi. Ils vont nous manquer, ces vieux pères dignes...
Merci.