L’Europe en rêve, Macron l’a fait : la privatisation des barrages.
Par René Durand le samedi 15 septembre 2018, 14:08 - Eau - Lien permanent
Dans les sujets d’actualité, permettez-moi aujourd’hui de vous parler de la privatisation des grands barrages hydrauliques. Au nom de « la concurrence libre et non faussée », la commissaire européenne Margrethe Vestager l’a demandé depuis plusieurs années et notre Président va le faire avec diligence. Il faut bien l’admettre, notre Emmanuel Macron est un bon élève, genre « premier de la classe ». La preuve ne serait-elle pas son souci d’être aimé par son professeur ?
Si j’en crois Médiapart, c’est le 22 octobre 2015 que pour la
première fois Margrethe Vestager adresse à Laurent Fabius (alors
ministre des affaires étrangères en charge des questions européennes) un
courrier l’informant de l’ouverture d’une enquête sur la concession des
barrages hydrauliques accordée à EDF. Il semblerait bien que dans un
premier temps, le gouvernement ignore cette exigence car, comme
l’explique ce journal : « reconnaître l’existence de cette
enquête européenne reviendrait à mettre le sujet dans le débat public et,
encore plus, obligerait Paris à adopter — pour une fois — des positions
claires tant en France que vis-à-vis de l’Europe. » Pour autant, la
demande est sans ambiguïté : « La commission considère que les
mesures par lesquelles les autorités françaises ont attribué à EDF et
maintenu à son bénéfice l’essentiel des concessions hydroélectriques en
France sont incompatibles avec l’article 106 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne ». Et d’enfoncer le clou, puisque
cette attribution crée « une inégalité des chances entre les opérateurs
économiques dans l’accès aux ressources hydrauliques aux fins de la
production d’électricité permettant à EDF de maintenir ou de renforcer sa
position dominante en France sur les marchés de la fourniture d’électricité
au détail ».
Il est vrai que l’hydroélectricité en France est contrôlée à
80 % par EDF et à 15 % par ENGIE via la Compagnie Nationale
du Rhône (CNR) et la Société Hydroélectrique du Midi (SHEM). Cette production
est d’une importance capitale puisqu’elle représente de l’ordre de
12,5 % du total. Si on prend en compte les seules énergies
renouvelables, l’hydraulique constitue alors 68,6 % de ce sous-ensemble
(le solaire 6 %, la biomasse 7,6 % et l’éolien 17,3 %). On
comprend mieux l’intérêt de conserver les barrages dans le domaine public si on
précise que c’est l’électricité la moins onéreuse : de
20 à 30 euros le MWh. À noter que les centrales hydroélectriques
fournissent 66 % de la capacité d’appoint rapide (moins de deux minutes)
lors des pics de consommation (le reste est assuré par les unités thermiques).
Mais ces barrages ont d’autres enjeux. Ils sont devenus (quoi qu’on en
pense) des éléments incontournables dans le niveau des fleuves et
rivières (lutte contre les inondations, irrigation, etc.). À ce
titre, ils sont essentiels pour le refroidissement des centrales nucléaires,
implantées pour la plupart en aval de ces barrages.
Dans les arguments qui devraient faire réfléchir les économistes qui
n’auraient qu’une vision comptable des choses : premièrement la
gestion de ces barrages produit un excédent brut de 2,5 milliards d’euros par
an (dont la moitié revient aux collectivités locales), deuxièmement leur
masse salariale est faible (21 000 personnes) et enfin leurs installations
sont amorties depuis belle lurette. Du démantèlement de ce secteur qu’est ce
que l’État va pouvoir gagner ? Pour le moins une recette limitée :
selon la Cour des comptes de l’ordre de 520 millions d’euros de redevances par
an. Résumons pour les « mal-comprenants » : on s’apprête
à privatiser ces barrages pour recevoir 5 fois moins que ce qu’ils nous
rapportent aujourd’hui !
Face à cette faible recette, mesurons les risques d’une telle
privatisation. Médiapart nous propose quelques
scénarios : « On imagine fort bien à quels types de chantage les
nouveaux propriétaires de barrages pourraient se livrer pour augmenter leurs
gains au détriment des communs et de la sécurité : rétention jusqu’au
seuil de la pénurie pendant les pics de consommation pour faire monter les
prix (rien ne l’empêche juridiquement), fin des lâchers d’eau gratuits en
fonction des besoins des vallées (loisirs, agriculture), entre autres exemples
signalés par Pierre Gilbert. Un opérateur privé va-t-il anticiper les
sécheresses en réfléchissant à des plans de stockage sur le long
terme ? » Pour sa part Jean-Louis Chauz, président
du Conseil économique, social et environnemental d’Occitanie,
exprime ainsi la crainte qui gagne les collectivités : « En 2035, le
déficit de stockage d’eau pour la nouvelle démographie de la région et les
besoins de l’agriculture, des écosystèmes, de la préservation de la
biodiversité, sera de 1 milliard de m3. EDF et Engie ont provisionné les
budgets nécessaires pour engager les travaux pour le stockage d’eau. À
l’heure où l’Occitanie est confrontée à un problème majeur de ressources en
eau dans les années à venir, à même de compromettre son développement,
voire sa sécurité sanitaire, il est incompréhensible et dangereux de
chercher à complexifier une organisation de la gestion de
l’eau... »
Mais, me direz-vous qu’est ce que la France pourrait faire devant les
injonctions de l’Europe ? Alexandre Grillat chargé des
« Affaires publiques et relations institutionnelles » de la
CFE-Energies (CFE-CGC) explique par exemple que La France
« aurait pu classer son hydroélectricité comme service d’intérêt
général échappant à la concurrence, mais n’en a rien fait ». Les
autres pays européens, moins « bon élève » refusent et semblent
s’engager dans une démarche inverse. EDF affirme
« aucun d’entre eux n’a ouvert ses ouvrages hydrauliques à la
concurrence ». Mais de tout cela, le Président des riches
n’a que faire et lance la grande braderie. Début janvier, il a transmis à
l’Europe une suite de 150 ouvrages — sur les 400 du parc français —
pouvant être bradés d’ici à 2022. Parmi eux les barrages alpins de
Lac Mort, Drac amont, Beaufortain et Super Bissorte pourraient être les
premiers proposés à un rachat dès 2018. Au total, 4,3 GW d’hydraulique
— l’équivalent de trois réacteurs EPR — seraient mis aux enchères.
Libération nous laisse entrevoir une liste des acquéreurs
potentiels : « Toute l’Europe de l’énergie est sur les
rangs pour s’arroger de gros ouvrages comme ceux de Bissorte (Savoie) ou de la
Dordogne : les Allemands ÉON et Vattenfall, l’espagnol Iberdrola,
l’italien ENEL, le norvégien Statkraft, le Suisse Alpiq. Le Canadien
Hydro-Québec et des Chinois sont aussi en embuscade. Mais, selon nos
informations, ce sont surtout les Français TOTAL et ENGIE (l’ex-GDF Suez) qui
espèrent rafler la mise, avec la bénédiction du gouvernement craignant
d’être accusés de “brader” ses barrages à l’étranger. »
Voue en savez maintenant autant que moi. Si vous souhaitez aller plus
loin, de nombreux articles de presse traitent de cette question. Cela dit, si
vous voulez mettre fin à ces pratiques, rien ne vous oblige à vous opposer à la
politique de ce président. Enfin vous pouvez aussi combattre la logique
ultra-libérale de cette Europe lors du scrutin du 26 mai 2019 qui nous
permettra d’élire les députés européens qui représenteront la France au
Parlement européen.
Les Liens :
- La vidéo d’une déclaration d’Alexandre Grillat chargé des « Affaires publiques et relations institutionnelles » de la CFE-Energies.
- Rapport d’information no 1 404 de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale : « L’hydroélectricité : une place à part dans le mix énergétique français » de Battistel Marie-Noëlle et Straumann Éric (octobre 2013).