L’affaire de la vente d’Alstom à General Electric, de la réalité à la fiction.
Par René Durand le dimanche 2 septembre 2018, 17:09 - Politique et critique du libéralisme - Lien permanent
Conseillé par Télérama, j’ai acheté cet été le dernier polar de Dominique Manotti « Racket » qui évoque l’affaire de la vente fin 2014 de la filière énergie d’Alstom (70 % de ses activités à l’époque) à l’américain General Electric. Certes, il s’agit bien là d’une version romancée de la réalité, quoique ? Parallèlement, LCP (la chaîne de télévision parlementaire) rediffusait le 15/08/2018 son émission « Droit de suite » traitant de ce sujet (diffusée la première fois le 11/10/2017) y compris le documentaire « Guerre fantôme ». Cet achat de la branche énergie d’Alstom par la firme américaine est effectivement un scandale d’État où l’un des protagonistes n’est autre que notre jupitérien président : Emmanuel Macron. Même s’il n’était pas encore, ni de droite ni de gauche, l’individu a donc participé au dépeçage d’un des fleurons de notre industrie sur l’autel de la mondialisation néo-libérale.
La compagnie Alstom (Alsthom en 1932, Alsthom-Atlantique en
1976, Gec-Alsthom en 1989 et Alstom depuis 1998) est actuellement
spécialisée dans les secteurs des transports, principalement ferroviaires
(trains, tramways et métros). Depuis 2015, la branche énergie (les 2/3
de son activité) est vendue à General Electric. La partie restante doit
prochainement fusionner avec Siemens-Mobility (accord de rapprochement signé le
23 mars 2018) pour créer une nouvelle entreprise qui prendra le nom de
Siemens-Alstom. Comme on peut le constater, l’histoire de ce
démantèlement n’est pas terminée. Tout ceci se faisant bien entendu
sur le dos des travailleurs et profite, comme vous vous en doutez, aux plus
riches. Dans le cas qui nous intéresse (la vente à GE), dès janvier
2016, GE a supprimé 6 500 emplois en Europe, dont 765 en France. A
contrario, cette vente a permis à 21 dirigeants d’Alstom d’encaisser un bonus
additionnel de 30 millions d’euros, dont 4 millions pour le PDG Patrick Kron.
Pour ce qui est des actionnaires, ils percevront de l’ordre de 3,5 milliards
d’euros de dividendes !
Regardons la chronologie de cette ténébreuse histoire.
Acte 1 : L’entreprise
Bouygues est un gros actionnaire d’Alstom
(30 %) et semble souhaiter depuis quelques années se retirer. Son banquier
d’affaires se nomme Rothschild. Cela vous dit peut-être quelque chose ? En
tout cas, fin 2012, Emmanuel Macron, qui est alors
secrétaire général adjoint de l’Élysée, commande au bureau
« AT Kearney » — sans en avertir le ministre
Arnaud Montebourg — une étude restée dans un premier temps
secrète (elle ne verra le jour que bien après) sur des hypothèses envisageables
suite à un désengagement de Bouygues dans le capital d’Alstom. La vente de la
branche énergie d’Alstom à GE y est évoquée. Vous avez dit bizarre ?
Acte 2 : Parallèlement, la
justice américaine avait, dès 2010, ouvert une enquête sur une possibilité de
corruption dans un contrat de construction d’une centrale à charbon
en Indonésie. Des pots-de-vin auraient été versés par l’intermédiaire de la
filiale américaine d’Alstom. Plusieurs responsables sont
arrêtés, en particulier Frédéric Pierucci, un des
dirigeants du groupe, en déplacement aux USA. La direction d’Alstom n’ignorait
rien de cette enquête du département américain, elle avait même édité une note
interne (en mars 2013) interdisant à ses cadres de se rendre sur le territoire
américain. Cela n’a certainement pas alerté le sieur Pierucci qui se fait
arrêter dès sa descente d’avion le 15 avril 2013. En fait, Alstom est
condamnée à une amende de 772 millions de dollars, mais l’entreprise
obtient, comme par miracle, plusieurs reports du paiement.
Acte 3 : Dans le plus grand
secret, une négociation, qui durera 2 mois, s’engage. Elle débute le 8
février 2013 par une première rencontre, à Paris, entre Patrick Kron
et le PDG de General Electric. L’accord final se conclut le 23 avril
lors d’un ultime entretien des 2 dirigeants aux États-Unis. Au final,
l’offre « qu’on ne peut pas refuser » formalise la vente de la branche
énergie pour 12,3 milliards d’euros. En contrepartie les poursuites de
la justice américaine cessent (Alstom plaide coupable) et GE s’engage à payer
l’amende de 772 millions (ce qu’à la fin elle ne fera pas). Pour
autant, l’information fuite et pendant le retour de Kron en France dans son jet
privé, l’agence Bloomberg annonce l’accord.
Acte 4 : Tout est maintenant sur la place
publique. Arnaud Montebourg, alors ministre de l’Économie, au
redressement productif et au numérique, pique une grosse colère et s’agite dans
tous les sens. Il accuse Patrick Kron d’être un
menteur et d’avoir négocié avec GE sans consultation préalable du gouvernement.
Tout cela est complété par quelques tumultes qui cessent rapidement, le
Président de la République ne le soutenant manifestement pas. De toute
façon il démissionne en août 2014. Médiapart commente :
« Et surprise, c’est Emmanuel Macron qui lui succède au ministère de
l’Économie. “Au moment de la passation de pouvoirs, je ne lui avais demandé
qu’une seule chose : qu’il respecte les accords passés avec GE. Il s’est
empressé de tout défaire”, raconte aujourd’hui l’ancien ministre. »
Le Monde revient sur cette période : « Des élus
de droite et de gauche, mais aussi Arnaud Montebourg, ministre de l’économie
au moment du rachat, et même Emmanuel Macron, son successeur, ont accusé
M. Kron — sur la base de soupçons plus que de preuves — d’avoir vendu
Alstom à GE pour s’éviter des poursuites de la justice américaine dans une
affaire de corruption. L’un de ses ex-cadres dirigeants, Frédéric Pierucci,
purge encore une peine de prison aux États-Unis et le groupe a finalement
transigé et payé fin 2014 une amende de 772 millions au Trésor
américain. Une accusation que M. Kron qualifie d’incroyable rumeur. “Je
n’ai jamais subi quelque pression que ce soit, je n’ai jamais été exposé à
aucun chantage de quelque juridiction que ce soit, ni des Américains ni
d’aucune autre juridiction, a-t-il déclaré sous serment. Ces insinuations
sont infondées, elles sont insultantes à mon égard comme d’ailleurs à
l’égard de l’ensemble des administrateurs qui ont soutenu à l’unanimité ce
projet.” »
C’est de cette histoire pour le moins rocambolesque que Dominique
Manotti (Marie-Noëlle Thibault pour l’État civil) s’est inspirée pour
écrire son livre « Racket ». Certes les noms sont
changés : Alstom devient « Orstam », GE (Général Electric)
devient PE, etc. Mais le fond du scandale est bien là, même si nous sommes dans
une fiction. Dans son ouvrage, c’est la commandante Noria
Ghozali qui dirige les « Renseignements parisiens » au sein
du service « Sécurité des entreprises » qui mène l’enquête et fait
remonter l’affaire, qui, comme dans la réalité, sera étouffée par les
politiques en place. Le journal Le Monde nous présente ainsi
l’auteure : « agrégée d’histoire, spécialiste de l’histoire
économique du XIXe siècle, cette ancienne militante de la CFDT ne s’est mise
au roman policier qu’en 1995, après avoir douloureusement constaté l’échec
d’un certain nombre de ses engagements. »
Bonne lecture...
Les liens :
- LCP, la chaîne de télévision parlementaire.
- La vidéo (1 heure 26) de l’émission « Droit de suite » de LCP sur l’affaire Alstom diffusée le 11/10/2017 contenant le documentaire « Guerre fantôme ».
- Le livre « Racket » de Dominique Manotti sur le site de l’éditeur.
- Alstom sur Wikipédia.