Glups, nos centrales nucléaires ne supporteraient pas la canicule ?
Par René Durand le mardi 21 août 2018, 15:12 - Climat et COP21 - Lien permanent
Nos centrales nucléaires sont parfaites ! Si, si, grâce à elles notre électricité est la plus propre du monde, pas d’émissions de ce vilain CO2 qui nous pourrit la vie, etc. On nous rabâche ce discours. Et si nous regardions cela de plus près ? Il n’est un secret pour personne que nous vivons une période particulièrement chaude et chaque été vient nous le rappeler. Il est aujourd’hui communément admis que les changements climatiques sont responsables de ces vagues de chaleur. Si effectivement, chaque événement ne peut être lié directement à ces dérèglements, il est scientifiquement montré que ceux-ci augmentent la fréquence de ces canicules. Et comment se comportent nos belles centrales dans ces périodes de forte chaleur ?
C’est en ces moments de température extrême, que se met à nu la fragilité du
système de production électrique français basé sur cette logique du « tout
nucléaire ». Ainsi durant cet été, EDF s’est trouvé dans
l’obligation de stopper 4 des 58 centrales existantes : une unité à
Fessenheim (Haut-Rhin), deux à Bugey (Ain) et une à Saint-Alban
(Isère). Une porte-parole d’EDF en expliquait la raison au journal
le Monde : « On a choisi d’arrêter ou de moduler la
puissance de certains réacteurs pour des contraintes environnementales ».
Ce n’est pas de gaîté de cœur que l’opérateur a fait cela, c’est la conséquence
d’une exigence légale.
En effet, pour l’activité de ces unités situées en bordure de fleuves
ou de rivières (et c’est le cas pour ces quatre-là), l’eau est utilisée pour
refroidir la vapeur des circuits secondaires qui alimente les turbines, avant
d’être reversée dans le milieu naturel. Si ces rejets ne contiennent
pas de matière radioactive, leur température doit respecter une certaine
limite pour ne pas modifier l’équilibre environnemental. Le réseau
« Sortir du Nucléaire » explique qu’une
« centrale nucléaire a besoin d’eau en permanence pour évacuer la
chaleur produite par la réaction nucléaire [...]. En bord de mer ou sur les
cours d’eau à fort débit, les centrales fonctionnent en circuit “ouvert” :
chaque réacteur prélève près de 50 m3 par seconde pour ses besoins en
refroidissement. L’eau est ensuite rejetée à une température plus
élevée. »
L’évacuation de cette eau ainsi réchauffée n’est pas sans conséquence
sur les milieux aquatiques. Les associations accusent, et c’est le
cas, les centrales nucléaires de contribuer à réchauffer les fleuves. Par
exemple on estime que la température du Rhin a augmenté de près de 3°C à cause
de la centrale de Fessenheim. « Ces rejets thermiques
agissent comme une barrière qui réduit considérablement les chances de
survie des poissons grands migrateurs, comme les saumons et truites des
mers ». De plus, des températures situées au-delà de 28 ou
30 °C peuvent nuire à la reproduction des poissons et favoriser le
développement d’algues et de végétaux aquatiques.
À noter que pour continuer à produire, coûte que coûte, EDF n’a jamais
cessé d’intervenir pour obtenir des dérogations (cela a d’ailleurs été le cas
pendant la canicule de 2003). Tout arrêt de réacteur a pour
conséquence un manque à gagner d’un million d’euros par jour selon le réseau
Sortir du Nucléaire ! D’où le grand nombre de ces exceptions.
Si les conditions de canicule se poursuivent dans les prochaines
années, on peut raisonnablement s’inquiéter. Interrogé par la
commission d’enquête sur le nucléaire de l’Assemblée nationale, Bernard
Laponche de « Global Chance »
expliquait : « Il est très probable qu’à l’échéance de quelques
dizaines d’années, les réacteurs situés sur les fleuves ne seront plus
admissibles du fait de l’augmentation de la température de l’eau et de la
baisse de son niveau, mais, à ma connaissance, ce n’est pas réellement pris en
considération ». D’ailleurs, dans son rapport, la commission
jugeait les risques liés au changement climatique insuffisamment pris en
compte et préconisait : « Demander aux exploitants
d’apporter la preuve que leurs réacteurs sont en mesure de résister à tout
aléa climatique combinant plusieurs facteurs (canicule, sécheresse, etc.) et
affectant plusieurs centrales simultanément. »
Une question encore. Et si les centrales nucléaires participaient,
elles aussi, au réchauffement climatique ? On nous explique à
longueur de discours convenu que les centrales nucléaires ne produisent pas de
CO2, donc ne contribuent pas au réchauffement climatique. Est-ce
certain ? Cela n’est pas si évident si l’on étudie ces périodes de
canicule, phénomène qui ne risque donc pas de s’arrêter. En effet, le
réchauffement des cours d’eau, en conséquence leur assèchement, participe à ces
dérèglements. Enfin, rappelons-nous que si l’on regarde l’ensemble du cycle de
vie de ces équipements et notamment leur construction, c’est de l’émission d’un
million de tonnes de CO2 dont on parle, sans oublier celle produite lors de
l’extraction des minerais d’uranium ou le traitement et le stockage des déchets
produits.
Non, l’électricité nucléaire n’est pas si propre que ça, mais on le
savait déjà... En tout cas ce mode de production de cette énergie non
renouvelable, est soutenue par un puissant lobby et son effet négatif sur le
climat est largement sous-évalué.
La solution réside manifestement dans de véritables économies d’énergie
couplées à l’utilisation d’énergies renouvelables au plus proche (et même sous
le contrôle) des utilisateurs plutôt que de développer ces grosses unités de
production incontrôlables.
Les liens :
- Rapport (N° 1122) du 28 juin 2018 de la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires.
Commentaires
Lors de la canicule de 2003, une conversation de couloir entendue par hasard m’avait permis de comprendre qu’en dehors des attitudes décontractées du ministre de la Santé, la situation était grave du fait de la nécessité de devoir arrêter certaines centrales nucléaires en raison des rejets non conformes aux températures définies dans les arrêtés autorisant les exploitations des centrales.
Ou bien il fallait faire des dérogations (du ministre) et sacrifier les poissons (option retenue).
J’ai alors voulu en informer mon milieu politique de l’époque sans succès...
Dommage, il aurait alors été possible de dénoncer une situation qui n’était plus maîtrisée....
La preuve : plus de 10 000 morts.
En 2003, j'avais été choqué par l'une des photos parues dans le Ouest-France régional: il s'agissait d'une des tours de refroidissement d'une centrale qui se faisait arroser par les pompiers, monter sur leur échelle, pour la refroidir.
Depuis, je recherche cette photo sans y parvenir, si quelqu'un a quelques souvenirs de cet épisode...je suis preneur.