L’opération « Boléro-Paprika » : une bien vilaine tache dans notre histoire !
Par René Durand le samedi 11 août 2018, 16:29 - Réflexions - Lien permanent
Il y a de cela quelques jours, je ne savais encore rien de cette opération « Boléro-Paprika » qui a démarré le 7 septembre 1950. Curieuse appellation pour une action des forces de l’ordre (certainement le fruit de l’imagination d’un fonctionnaire « plein d’humour ») indigne de la France. Sont visés des Espagnols (volet boléro) et des personnes issues des pays de l’Est (paprika). Elle va se terminer par l’arrestation de 288 individus de douze nationalités différentes, dont 177 Espagnols. Ainsi, la France se faisait le « défenseur des libertés » face au bloc soviétique, mais en fait jouait les bons élèves de l’Ouest (en donnant des gages à Franco). Pour ce faire, on déportait des militants d’obédience communiste y compris ceux qui avaient combattu en France et étaient pour le compte devenus des héros de la résistance !
En 1950, en France comme dans le reste du monde, nous sommes en
pleine guerre froide. Deux blocs s’affrontent, celui de l’Ouest autour
des États-Unis et celui de l’Est centré sur l’Union soviétique. Le parlement
vient d’autoriser le réarmement du pays en raison des tensions internationales
(guerre de Corée, guerre d’Indochine). Politiquement, les législatives de 1946
avaient amené l’élection de 182 députés communistes à l’Assemblée. Rappelons
qu’ils ne seront plus que 103 lors des suivantes en 1951. Elles permettront
aussi l’avènement de 121 parlementaires gaullistes ! Si j’en crois mes
lectures, le gouvernement semble, depuis l’armistice de 1945, s’inquiéter de la
présence sur le territoire de nombreux membres du PCE. Il les
soupçonne d’être particulièrement armés et prêts à en découdre. Dans son
ouvrage « L’Europa de Franco », l’auteur
(Jordi Guixé i Coromines) bat en brèche ces
explications fournies a posteriori à l’opinion publique. Il
s’agissait simplement de démanteler des réseaux de guérilléros (la fameuse 5e
colonne) en place pour permettre l’invasion de la France par l’Armée
Rouge ! Au contraire, dit-il, « Boléro-Paprika » n’est pas
une opération policière anodine : « [elle] représentait la
concrétisation politique de la Guerre Froide sur l’exil ; [elle] représentait
l’acceptation de Franco comme chef d’État par l’environnement occidental ;
[elle] représentait la collaboration sinueuse entre les polices espagnole et
française et les persécutions des républicains espagnols en France par le
Servicio Exterior des services secrets espagnols... »
Le 9 septembre 1950, on va donc arrêter : 177 Espagnols, 59
Polonais, 14 Soviétiques, 13 Italiens, 6 Hongrois, 5 Tchécoslovaques, 4
Grecs, 4 Roumains, 4 apatrides, 2 Bulgares. Pour ce qui est des
Espagnols, 11 militants le seront à Paris tandis que les 166 autres le sont
dans le Sud-Ouest, pour l’essentiel dans les régions de Toulouse et de
Perpignan. À Toulouse même, haut lieu de l’exil républicain,
l’hôpital « Varsovie » perd la totalité de son corps
médical. Rappelons qu’à la Libération, les FFI avaient
réquisitionné, rue de Varsovie, un immeuble qu’ils avaient mis à la
disposition des guérilléros espagnols pour leurs blessés ou leurs malades.
Pour faire bonne mesure, le ministre de l’Intérieur (Henri
Queuille originaire de Corrèze) va prendre les décisions nécessaires
pour interdire de nombreuses organisations (le PCE, le PSUC,
le Parti communiste d’Euzkadi, les Amis du Mundo obrero, l’Amicale des anciens
FFI et résistants espagnols, l’Union des femmes antifascistes espagnoles,
l’UGT procommuniste, les JSU, Solidaridad española) et diverses
publications (comme Mundo obrero et Nuestra bandera pour ne citer que
les plus importants). Sur ces 177 individus, 142 sont assignés à résidence en
Algérie et en Corse, un seul bénéficia finalement d’une annulation de son
expulsion et 33 sont directement envoyés en RDA.
Dans un premier temps, la presse s’intéressera à l’événement. Les
journaux de gauche s’indignent. L’Humanité
titre : « Au mépris du droit d’asile, près de 300 arrestations
d’antifranquistes Espagnols et de démocrates immigrés » Le
« Patriote » dénonce le « Coup de force du
Gouvernement contre les républicains espagnols sous la pression de
Franco ». Quant à La Dépêche du Midi, elle explique
que : « A Paris comme en province, la police a opéré une rafle
monstre contre les communistes étrangers résidant en France ». À droite,
Le Figaro, s’engage clairement : « À Paris, dans le
Nord, le Sud—Ouest et le Sud-Est, vaste opération de police contre les
cinquièmes colonnes établies en France par les PC étrangers ».
Pour autant, des protestations s’élèvent. C’est le cas de la Ligue
des droits de l’homme (LDH) qui dans une première lettre souligne le
combat de ces guérilleros durant la Seconde Guerre mondiale. Dans une autre du
15 décembre 1950, elle s’inquiète du sort qui leur est réservé. Son
président « s’élève une fois de plus contre l’application abusive de
l’ordonnance du 2 novembre 1945 sur le séjour des étrangers » et en
appelle aux « républicains (qui) n’accepteront pas que soient ainsi
traités plus cruellement que des ennemis des hommes qui se sont exposés pour
que la France soit libre ». À tout cela, le ministre de
l’Intérieur, l’ineffable Henri Queuille, fait une réponse révélatrice de
l’état d’esprit des politiques au pouvoir : « Je
n’insisterai pas davantage sur les dangers que comporte actuellement la guerre
ouverte menée, à l’intérieur et de l’extérieur, contre les institutions du
monde libre, et contre celles de la France en particulier. Les intéressés
sont de mauvaise foi, argumente-t-il, lorsqu’ils prétendent ignorer les motifs
de leur inculpation, tous appartenaient au Parti communiste espagnol ou à ses
organisations annexes et y militaient activement. Tous obéissaient
aveuglément à des consignes venues de l’extérieur. [Par suite] le
Gouvernement a dû se résoudre, devant la gravité et l’imminence du péril à
les écarter provisoirement du territoire métropolitain et à les assigner à
résidence en des lieux où ils puissent plus facilement être surveillés et
leur action neutralisée ». À noter que les perquisitions
réalisées aux domiciles des militants n’ont apporté aucun élément
susceptible d’étayer l’inculpation d’atteinte à la sûreté de
l’État. Le ministre se garde d’ailleurs d’insister sur ce point. Pour
l’heure, l’unique charge retenue vise leur appartenance à un parti communiste
étranger.
Quel gouvernement a mis en œuvre cette scandaleuse
opération ? Il était présidé par René
Pléven (UDSR : Union Démocratique et Socialiste de la
Résistance). Il comprenait 22 ministres et 11 secrétaires d’État : 9
socialistes (dont Guy Mollet, Jules Moch, Gaston
Deferre, Max Lejeune), 9 MRP (dont Robert
Schuman et Pierre Pfimlin), 8 radicaux (dont Henri Queuille,
Edgar Faure et Maurice Bourgès-Maunoury), 4 du Parti
Républicain de la Liberté (dont Antoine Pinay) et 3 UDSR
(outre René Pléven, Eugène Claudius-Petit et
François Mitterrand).
Parfois les bavures du passé font écho dans notre
actualité...
Les Liens :
- La vidéo (52 minutes) de Joe Jenin sur l’opération « Boléro-Paprika » (produite par France Télévision en 2005 ?).
- Un article de Phryné Pigenet (1999) de la Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine : La protection des étrangers à l’épreuve de la « guerre froide » : l’opération « Boléro-Paprika ».
- Le site de « La ménagerie » où s’est produit et réalisé le court-métrage d’animation « Boléro Paprika ».
Commentaires
Les médecins Espagnols sont arrêtés et détenus pour certains au Camp des Sables de Muret, puis expulsés vers L’Amérique latine, le Maghreb, des
pays de l’Est.
Un groupe de médecins (on peut fournir une liste) coordonnés par le Pr. Ducuing, chirurgien de renom, vont prendre le relais et soigner les malades hospitalisés ou externes, en créant l’Association « Les Amis de la Médecine Sociale » qui jusqu’à ce jour est en charge du fonctionnement de l’Hôpital, dernière structure sanitaire en fonction créée par les Républicains. Je tiens à votre disposition dès document illustrations de cette période.
Il ne faut pas oublier la campagne de presse qui tout au long de cet épisode a soutenu ces actions...
Merci Monsieur Aczel pour votre aimable commentaire...
Je ne pensais pas qu’une personne aussi savante que vous réagisse à cet article...
Du coup en recherchant sur le net à l’aide des moteurs de recherche j’ai trouvé ces vidéos qui permettrons aux lecteurs de ce billet d’en savoir plus sur la dimension « Hôpital de Varsovie » de l’affaire « Boléro Paprika »...
Merci encore...
Les liens :
http://pasadopresente.com/component...