Orange, robot, qualité de service et privatisation.
Par René Durand le vendredi 27 juillet 2018, 08:51 - Politique et critique du libéralisme - Lien permanent
En cette soirée du 4 juillet, comme prévu par Météo France, qui d’ailleurs avait classé le LOT en vigilance « orange », un violent orage s’est abattu sur le territoire communal. Rafales de vent, grêle et autres variantes de la « colère des cieux » se sont exprimées pendant de longues minutes. Seule conséquence malheureuse de cet événement, la chute d’une grosse branche du frêne d’un voisin qui emporte au passage les fils du téléphone de deux maisons, dont la notre. Concomitamment, coupure du courant et arrêt du relais GSM du secteur, qui d’habitude nous donne un signal 4G de bonne qualité. Mon « smartphone » se connecte alors à une antenne plus éloignée, avec une liaison médiocre, voire inexistante.
Le tableau est dressé : plus de téléphone et plus d’accès à
internet, plus d’électricité et un réseau mobile moribond. Me voici
donc dehors (avec l’espoir d’améliorer les choses),- il ne pleut presque plus
-, en train d’appeler le service Orange (3900) pour déclarer l’incident. Un
robot décroche, souhaite savoir si je veux connaître le tarif de notre
communication et dans ce cas je dois prononcer le mot « tarif » pour
qu’il m’en donne le détail. Devant mon silence, la machine passe à l’étape
suivante. Est-ce que ma demande concerne mon mobile : « Oui ou
non ? ». Je réponds que NON. Il me demande alors de composer les 10
chiffres du numéro pour lequel j’appelle. Je m’exécute. Il me dit qu’il a
compris que j’appelais pour le 05 65 xx xx xx : « oui ou
non ». Je réponds que OUI. Il ne comprend pas ma réponse et souhaite de
nouveau me voir frapper les 10 chiffres du numéro pour lequel j’appelle, etc.
Là, je raccroche une première fois. Je recommence l’exercice. Au quatrième
appel, j’arrive à franchir cette étape (la connexion GSM s’était-elle améliorée
?) et le robot me demande d’expliquer les raisons de mon appel. J’explique. La
machine semble avoir compris et me passe UN être HUMAIN ! Miracle de la
technologie... Une charmante personne me répond. Je reprends tout, dans le
détail, mais le dialogue est difficile, je suis un peu tendu, mais ne laisse
rien voir de mon courroux ! (« Et mon courroux, coucou » comme
disait Desproges). La dame m’explique alors, comme la liaison n’est pas très
bonne, que le plus simple serait de me connecter à un site internet, pour
déclarer la chute du câble... J’explose ! La communication est coupée
(c’est elle qui raccroche ?).
Le lendemain matin, l’antenne GSM de proximité est de nouveau en état.
Je recommence le pensum, tout se passe parfaitement et une opératrice d’Orange
me fixe un rendez-vous pour le jour suivant. Le chemin est dégagé dans
la journée, la tronçonneuse de mon beau-frère faisant merveille. Le jour dit,
le technicien arrive avec son utilitaire-nacelle. Il est seul... Dois-je vous
préciser que c’est un sous-traitant ? En quelques instants les réparations
sont faites.
C’est de ce stupide incident, dont il faudrait mieux se moquer, que je
veux vous parler. Il faut admettre que plusieurs humoristes de talent
ont fait leur fonds de commerce de ce type de situation. Il y a encore quelques
années de cela, je riais, comme mes concitoyens, de cet avenir pourri ! Je
pensais que le ridicule rendrait cette pseudo modernité rapidement
obsolète ! C’était toutefois oublier l’inébranlable logique néolibérale
qui place les profits avant toute chose, jette les humains dans la précarité,
sous-traite à tout va et vous met sous la dépendance de robots mal-comprenant.
Tout commence par le démantèlement du service public. Je voudrais rappeler aux
plus jeunes de mes lecteurs (il y a si longtemps) qu’il y avait un
« service public du téléphone ». Il se nommait
« PTT » (poste, télégraphe, téléphone). Puis en
raison de la séparation des missions, il est devenu « France
Télécom ». Enfin, en 1997, dans le cadre d’une politique portée
par cette Europe, il a été privatisé. Aujourd’hui, c’est
« Orange », à la suite du rachat de cet opérateur
anglais en 2000.
Là encore, on nous avait expliqué que la concurrence « libre et
parfaite » était une bonne chose. Qu’avec plusieurs opérateurs, les prix
allaient baisser ! Sauf que très rapidement on s’est aperçu que
nos 3 entreprises de l’époque (ORANGE, BOUYGUES et SFR) se mettaient d’accord
sur le dos du consommateur. Au final, le 30 novembre 2005, ils sont condamnés à
une amende de 534 millions d’euros pour échange d’informations entre 1997 et
2003 et entente sur la répartition des parts de marché entre 2000 et 2002.
Puisqu’on vous dit que la concurrence va faire votre bonheur !
Regardons maintenant les conséquences de cette « ouverture du
marché » sur le plan de l’emploi. Si l’on en croit les dernières
données officielles, le groupe compte environ 170 000 employés à
travers le monde, dont 105 000 en France. En 1996, selon un
rapport du Sénat, son effectif français était pratiquement identique
(165 200), mais il était alors essentiellement situé sur le territoire
national. Rapidement, les syndicats se sont inquiétés de la baisse des
effectifs français, tout en notant que l’avenir risquait d’être sombre en
raison de l’âge avancé des salariés. L’on pense que d’ici 2020, du fait du
non-remplacement des départs à la retraite, l’effectif français du groupe
devrait diminuer de 30 %. Ainsi en 2020 et pour la France, on
devrait passer (sauf surprise) en dessous des 80 000
emplois.
Je ne m’attarderai pas sur les modes de gestion du personnel par ces
patrons voyous. Pas moins de soixante agents se sont suicidés en
trois ans (2007, 2008 et 2009), dont trente-cinq pour les seules
années 2008 et 2009. L’article du Monde, daté du 12 décembre
2014 : « France Télécom, la mécanique de la
chaise vide », malheureusement réservé aux abonnés, est à ce
titre édifiant.
Ainsi, comme beaucoup d’entre vous, j’ai été en quelque sorte
« victime » (pour cet incident anecdotique, le mot est bien fort)
collatérale de la privatisation de nos services publics. Ce
n’est bien entendu rien à côté de ce qui pourrait advenir à l’employé de ce
sous-traitant, bien seul sur sa nacelle, surtout en pleine
nature. Cela n’est pas grand-chose au côté des conditions de travail et de
salaire de ces femmes qui m’ont répondu, depuis ce centre
d’appel (certainement encore un sous-traitant) dont j’ignore le pays
d’hébergement (Maroc ? Plus loin ?), etc.
Ce démantèlement systématique des services publics ne peut que
s’intensifier. Ils en ont terminé avec le ferroviaire (dans une
quasi-indifférence). Au fait, avez-vous noté que la SNCF vient de vendre la
gare du Nord à Auchan ? Sympa quand même ce monde de la concurrence libre
et parfaite.
Les liens :
- Le site de Orange.
- L’entreprise Orange sur Wikipédia.