Besnier : quand un oligarque boit du petit lait !
Par René Durand le lundi 12 février 2018, 23:44 - Politique et critique du libéralisme - Lien permanent
Comme les lecteurs attentifs de ce blog ont pu le noter, j’ai décidé de
faire une série de portraits de ces oligarques qui nous gouvernent.
Après Bill Gates (Microsoft), Mulliez
(Auchan), Frérot (Veolia), Dassault et enfin
Tapie, je vous propose de nous intéresser à un de ces
« premiers de cordée » actuellement sur le devant de la scène. Je
vais vous présenter Emmanuel Besnier, le milliardaire qui se cache
derrière Lactalis. Un autre de ces capitaines d’industrie, sans foi ni
loi, sans morale, qui ne respecte rien, mais que notre président aime et choie.
Plus j’y pense, plus je trouve malsaine ma fixation névrotique sur ce type
d’individu et mon envie de les stigmatiser.
En 2017, Lactalis est la troisième entreprise mondiale de transformation de produits laitiers, derrière Nestlé et Danone. C’est la deuxième en France. Si on prend en compte les volumes de fabrication, il devient le premier groupe mondial et le premier en France. Derrière ce nom se cache une multitude de marques :
- Les fromages : Président, Rouy, Lepetit, Lanquetot, Bridélight, Galbani, Rondelé, Munster, Chaussée aux moines, etc.
- Le beurre et la crème : Président, Bridélice, Primevère, etc.
- Lactel (Éveil, Matin léger),
- Les AOC (Istara, Salakis, Lanquetot, Société, Lou Pérac, etc.),
- Les produits frais (La Laitière, Flanby, Sveltesse, Viennois, Chambourcy, etc.).
Le groupe emploie environ 75 000 salariés dans 230 sites répartis
dans 43 pays. Parmi ceux-ci 15 000 en France et 17 000 dans
le reste de l’Europe. Il commercialise ses produits dans plus de 150 pays. Son
chiffre d’affaires (17,3 milliards d’euros) est réalisé pour 58 % en
Europe, 21 % en Amérique et 7 % en Afrique. Si j’en crois l’AFP, 1
agriculteur français sur 5 qui produit du lait travaille pour Lactalis.
Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA
affirmait dans les colonnes du Nouvel Observateur :
« Lactalis, avec toutes ses filiales, collecterait plutôt entre
25 % et 28 % du lait français... Ce qui explique en partie les
projecteurs braqués aujourd’hui sur l’entreprise et son rôle majeur dans la
crise » du lait.
Bien que non cotée en bourse, cette multinationale est dirigée d’une
main de fer par Emmanuel Besnier, homme discret de 45 ans. Fondée en
1933 par André Besnier à Laval, elle est successivement
emmenée par son fils Michel (1928-2000) puis par son
petit-fils, depuis maintenant 17 ans. Selon « Forbes », la fortune de
ce dernier ne cesse de progresser. En mars 2017, elle est estimée à
11,3 milliards de dollars, alors qu’elle n’était que de 7,6 milliards
un an avant, et de 4,3 milliards de dollars en 2013. Belle croissance donc. La
revue « Challenge », le classe 11e plus riche de
France, juste derrière Xavier Niel (10e) et
Patrick Drahi (8e). Pour arriver à ces niveaux, il est bien
évident que notre « premier de cordée » a fait quelques arrangements
avec le fisc ou avec la morale. Le journal Médiapart nous
explique qu’à la succession de Michel Besnier (le père d’Emmanuel), les
enfants obtiennent « un paiement différé et fractionné (14 ans) de
leurs droits de succession, qui se sont élevés à 119 millions d’euros.
L’accord avec Bercy a été scellé en 2003, sous l’autorité du ministre du
Budget Alain Lambert et du président Jacques Chirac, seul homme politique à
apparaître en photo dans le livre de mémoire du groupe. » Toujours
pour des raisons fiscales, Lactalis, qui ne publie pas ses
comptes, fait migrer une partie de ses avoirs en Belgique. Alors qu’il
commence à acheter ses concurrents étrangers, la société « Besnier
SA » (BSA) installe sa filiale « BSA international » à Ixelles
en Belgique. Le capital de cette filiale, qui détient quelque 60 filiales
étrangères, est passé de 100 millions d’euros en 2005 à 2,1 milliards
d’euros en 2014. Bien que son résultat net cumulé se soit élevé à
268 millions d’euros, entre 2004 et 2014, elle n’a versé à l’État belge que
7,23 millions sur la même période.
Ce 22 août dernier, la FNSEA et les Jeunes
Agriculteurs (JA) appellent l’ensemble des producteurs de lait des
Pays de la Loire, de Bretagne et de Normandie à manifester, devant le siège
de Lactalis, à Laval (Mayenne). L’entreprise est accusée de l’acheter
à un prix particulièrement faible (le plus bas en France), soit 257 euros
pour 1 000 litres (en gros 10 à 30 euros de moins que les
concurrents). Tout cela, alors que la transaction se faisait à
365 euros la tonne en 2014, à 305 euros en 2015, avant de chuter à
275 euros dans l’été 2016. C’est peu, quand on sait que le coût de
production d’une tonne de lait était estimé (par le Monde) autour de
374 euros (ou 37,4 centimes le litre). Très rapidement les
agriculteurs se révoltent. Il faut reconnaître qu’avec de telles pratiques
« l’hécatombe » est importante. Le « Nouvel-Observateur »
interviewe à cette occasion Josian Palach, secrétaire
national en charge de l’élevage à la Confédération
Paysanne : « 2 000 à 3 000 exploitations ont
fait faillite cette année. Ces 10 dernières années, ce sont 60 000
points de collecte qui ont fermé ». Le syndicaliste précise plus
loin que Lactalis n’est pas le seul responsable : « Regardez
aussi du côté de Danone, dans leurs résultats du premier semestre, ils
écrivent noir sur blanc qu’ils ont de bons chiffres grâce au faible prix
d’achat du lait. C’est indécent ! »
Ce sont en fait les questions sanitaires et leur gestion qui ont mis
Emmanuel Besnier sous les projecteurs de l’actualité. Comme l’explique
Stéphane Le Foll (ancien ministre socialiste de
l’agriculture) : « Dès la fin août, l’entreprise, sur des
contrôles internes, découvre des problèmes de salmonelle, et au mois de
janvier on est toujours dans ce problème. » On mesure vite l’ampleur
de ce qu’il convient d’appeler une « tricherie ». À tel point qu’en
fin d’année, le parquet de Paris ouvre une enquête
préliminaire pour « mise en danger de la vie d’autrui,
tromperie aggravée et inexécution d’une procédure de retrait ou de rappel
d’un produit préjudiciable à la santé. » Une fois encore c’est la
soif de profits immédiats qu’il faut invoquer dans cette affaire, la santé de
nos « chères têtes blondes » étant le cadet des soucis d’Emmanuel
Besnier. Par exemple en 2012, une deuxième tour de séchage haute de 42 mètres
est construite sur le site industriel de Créon au cœur de la polémique.
L’objectif de Lactalis est de sécher 6 tonnes supplémentaires de lait à
l’heure, contre 3 tonnes à l’heure avec la seule tour existante, et à ainsi
permettre à sa filiale Celia (pour bébé) de se hisser du 10e au 5e rang
mondial de la nutrition infantile. Les travaux pour cette deuxième tour sont
commencés avant l’autorisation administrative et malgré un avis défavorable du
commissaire enquêteur ! Si dans cette affaire, Lactalis ne s’est
manifestement pas bien conduit, que dire des grandes surfaces ? Selon
Médiapart toujours : « La Direction générale
de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)
a réalisé 2 500 contrôles qui ont fait apparaître que les enseignes
Leclerc, Auchan, Carrefour, Système U et Cora avaient continué de vendre les
produits rappelés — près de 2 000 — sur 91 points de vente et 30
supermarchés. »
Avec ce nouvel exemple de « premiers de cordée », que
constate-t-on ? Comme ses petits camarades, celui-là n’a pas
beaucoup de morale et d’éthique, seuls les profits immédiats l’intéressent et
il n’hésite donc pas à empoisonner les gens, il participe le moins possible aux
dépenses de solidarité sociale, il « optimise » et tripatouille, il
est chaque fois « borderline ». J’en oublie ?
Ah si, celui-là est un peu différent des autres, il se planque et ne
cause pas !
Les liens :
- Oligarchie (exemple 1) : l’État vend ses enfants et ses enseignants à Microsoft pour 13 millions !
- Oligarchie 3 : La tribu Mulliez et l’éthique !
- Non, monsieur Antoine Frérot, on ne se taira pas !
- Serge Dassault : un « premier de cordée » avec des affaires aux fesses en mode « Rafale »...
- Nanard, un autre exemplaire des « premiers de cordée »...
- Le billet d’Audrey Vernon sur France-Inter : « L’homme de ma vie : Emmanuel Besnier, président de Lactalis ».
- L’interview d’Emmanuel Besnier du 13 janvier 2018 au JDD.