Dur, dur d’être « Une femme fantastique »...
Par René Durand le samedi 2 septembre 2017, 23:06 - Cinéma, musique et littérature... - Lien permanent
Marina Vidal (Daniela Vega) jeune femme « flamboyante », manifestement chanteuse dans un cabaret, aime Orlando Onetto (Francisco Reyes) patron d’une entreprise de textile qui pourrait être son père. Rien de bien original comme début de séance. Mais tout se complique rapidement pour au final nous tracer le parcours douloureux d’une « Una mujer fantástica ». On sait bien comme c’est difficile d’être femme dans ce monde de machos, mais on est loin de se douter comment cela l’est encore plus quand on est trans : les cons sont aussi homophobes.
En fait, Orlando a quitté sa femme, et vit une belle histoire
d’amour avec Marina. Ils ont des projets de voyage. Et c’est le jour
de l’anniversaire de Marina que, dans la nuit, Orlando fait un malaise. Elle le
conduit à l’hôpital, mais Orlando meurt en arrivant aux urgences d’une rupture
d’anévrisme. Au moment où ils quittent leur logement, il faut dire qu’Orlando
fait une chute dans l’escalier. Pour les médecins, une formidable ambiguïté
s’installe dès son décès : il a des bleus sur le corps (conséquence),
manifestement il avait consommé de l’alcool et fumé un peu d’herbe, et il est
amené à l’hôpital par une femme qui n’en est pas une puisqu’elle a une carte
d’identité d’homme. Appelée, la police s’en mêle rapidement et on le sait bien,
tous ces gens n’aiment pas les transsexuels.
Si les flics fichent les transgenres, la famille se doit de les
rejeter. Il n’est pas question que « cette chose » assiste
aux obsèques et apparaisse au grand jour. Manifestement Marina est une
« tache » dans la vie de cet homme et il faut cacher cet « amour
illégitime ». Toutes les pressions seront bonnes pour lui faire comprendre
qu’elle est de trop. Elle doit quitter séance tenante l’appartement et si elle
insiste pour assister aux obsèques on n’hésitera pas à mettre en œuvre les plus
odieuses brutalités, comme celles que lui font subir le fils d’Orlando et ses
amis homophobes.
Comment rester digne et surtout « femme » au milieu d’un tel
déferlement de haine ? Tenace elle va de l’avant, elle exige
qu’on la prénomme Marina, elle marche contre le vent, elle court et reste la
tête hors de l’eau. Ce qui n’est pas simple dans cette avalanche d’horreurs.
Dans cette ambiance pourrie, quelques personnes plus chaleureuses comme le
frère d’Orlando qui au moins comprend, sa sœur et son beau frère qui volent à
son secours et surtout comme son professeur de chant. Il faut vous dire que
Marina a un jardin secret : chanteuse de cabaret au début du film, elle se
forme à l’art lyrique avec un homme délicieux. Dans la scène finale, elle
interprétera « Ombra mai fu », un air de l’opéra « Serse »
de Haendel.
Thomas Sotinel dans le Monde explique :
« Marina n’est une héroïne que parce que ses adversaires l’exigent.
Sans leurs préjugés, leur étroitesse d’esprit, voire leur violence (vers la
fin du film, une séquence terrifiante place la jeune femme dans la position
des militants politiques sous la dictature, enlevés, humiliés, incertains de
leur sort), cette femme n’aurait rien de fantastique. Mais voilà, pour
survivre, pour accomplir un travail aussi banal qu’un deuil, elle doit faire
preuve d’une force que lui envieraient bien des superhéros. »
Cédric Lépine dans Médiapart rajoute :
« Ce qui est ici décrié, c’est la conception pathologique d’un
idéal familial d’une partie de la société chilienne qui appartient, qui plus
est, aux sphères les plus aisées. La violence transphobique n’est plus
dissimulée et derrière le chemin de calvaire de Marina... [c’est]... bien la
construction d’un personnage [...] s’affirmant au fil de toutes les épreuves,
selon l’adage que “ce qui ne tue pas, rend plus fort”. »
Courez voir ce film, vous ne le regretterez pas...
Fiche technique :
Titre original : Una mujer fantástica.
Titre français : Une femme fantastique.
Réalisation : Sebastián Lelio.
Scénario : Sebastián Lelio, Gonzalo Maza.
- Daniela Vega (es) : Marina Vidal
- Francisco Reyes : Orlando Onetto
- Luis Gnecco : Gabo, le frère d’Orlando
- Aline Küppenheim : Sonia, la femme d’Orlando
- Amparo Noguera : Adriana, la commissaire
- Trinidad González : Wanda, la sœur de Marina
- Néstor Cantillana : Gaston, le mari de Wanda
- Alejandro Goic : le docteur
- Sergio Hernández (es) : le professeur de chant
- Nicolás Saavedra : Bruno, le fils d’Orlando
- Antonia Zegers : Alessandra, la patronne du restaurant où travaille Marina
Durée : 104 minutes
Récompenses
- Berlinale 2017 : Ours d’argent du meilleur scénario et Teddy Award du meilleur film.
- Festival du film de Cabourg 2017 : Grand prix du jury Prix de la jeunesse
Les liens :
- La bande-annonce sous YouTube.
Commentaires
Les guerres d'idéologie deviennent lassantes.
Lisez Christopher Lasch, "La révolte des élites, et la trahison de la démocratie", écrit en 1995 pour un regard.. nouveau... sur ces questions.
Le weekend dernier, je suis allée voir un film de Bollywood, "A Gentleman", au cinéma Publicis, à Paris. Je crois que j'étais la seule européenne dans la salle, avec un couple de petits vieux. (ça en dit long sur "notre" ouverture, curiosité, et tolérance en France, je trouve...)
C'était un VRAI dépaysement de voir le rapport entre les sexes dans ce film. A mille lieux du politiquement correcte des élites... dont nous faisons partie, Monsieur. Les élites de la République.
Et je prends acte de votre... ?, en notant que vous avez mis le mot femme entre guillemets plus haut.
Cela veut dire... quelque chose.
Ouf.