L’arrivée d’un nouveau médecin à Lacapelle-Marival entraînera-t-elle la mort d’un collectif citoyen ?
Par René Durand le lundi 19 décembre 2016, 22:41 - Territoire - Lien permanent
Comme je l’avais déjà expliqué dans un article intitulé « De l’absence de médecin dans la commune de Lacapelle-Marival (Lot) », le médecin de la commune était parti à la retraite. Comme aucun candidat au remplacement n’était en vue, un « collectif citoyen » s’était constitué. Cette difficulté de trouver des praticiens, qui concerne malheureusement l’essentiel du territoire national, est le résultat d’une politique de santé conduite depuis 1972 : le « Numérus Clausus ». Mais tout semble bien se terminer, puisque ce vendredi 2 décembre 2016, le Maire de la commune présentait à la population le docteur Martin-Miranda qui nous vient d’Espagne !

Comme je l’expliquais dans mon propos précédent (lien ci-dessus), la
limitation du nombre de praticiens formés (Numérus Clausus) qui s’est faite
sous pression de l’Ordre des médecins est la cause essentielle de cette
situation. À cela, il faut ajouter des pratiques nouvelles, des effets
secondaires, qui en ont accéléré le processus. Installée dans les
années 70 (Pompidou était Président) cette limitation était encore
raisonnable dans un premier temps. À partir de 1983 (Mitterrand), la réduction
était drastique (la moitié du début). Ce n’est qu’à compter de 2002 (Chirac
avec Jospin 1er ministre) que ce nombre va remonter. Si en 1972, 8 588
étudiants étaient autorisés à passer en seconde année, seulement 3 500 y
accédaient en 1993. En 2016, c’est 7 633 qui entrent en seconde
année. Notons qu’un jeune homme qui commence ses études de médecine en 1983 a
aujourd’hui environ 56 ans, nous pouvons donc nous attendre à des situations de
pénurie de docteurs encore plus dramatiques dans les prochaines années !
Enfin, en 1972, alors qu’il y avait 51,5 millions d’habitants on formait
8 588 médecins, ils sont 7 633 en 2016 pour une population de 64,5
millions !
L’équipe municipale de Lacapelle-Marival a donc trouvé un remplaçant pour son
territoire. Pour ce faire, elle avait missionné un cabinet de
« chasseurs de têtes » qui est allé débaucher un médecin espagnol qui
exerçait dans son pays. Cet état frontalier perd un praticien qui garde espoir
d’une rémunération supérieure. Efficace dans ce monde libéral pour régler la
question (la recherche du gain reste un levier essentiel), la démarche ne
semble toutefois pas très « morale » (le qualificatif est
certainement trop fort, mais...). N’est-ce pas le contribuable espagnol qui a
largement participé à payer la formation de cet homme avec l’espoir de le voir
exercer dans son pays ? Le problème serait donc résolu ? Pas sûr, là
encore. Fonctionnaire en Espagne, le docteur Martin-Miranda s’est mis en
disponibilité pendant 2 mois et explique que si d’ici fin février il n’a pas la
certitude d’avoir une rémunération supérieure à ce qu’il gagnait en Espagne, il
y retournerait. Piquer dans le pot de confiture du voisin n’est donc pas une
solution pérenne. Nous risquons (mais je ne le souhaite véritablement pas)
d’avoir à recommencer à nous mobiliser pour trouver de nouveau un docteur à
Lacapelle-Marival.
La vraie solution à ce problème général de manque de médecins en France
est plus lourde à mettre en œuvre et passe par une rupture plus globale avec le
système de santé en place. C’est pour cette raison que la mobilisation
des habitants qui s’était faite, l’esprit qui régnait au sein de ce groupe et
les actions envisagées m’avaient impressionné par leur pertinence. Par exemple,
l’Agence régionale de santé (ARS) avait été contactée. L’institution,
manifestement intéressée par la démarche, proposait un débat public sur des
sujets aussi passionnants que la carte de santé sur le territoire, etc. Mais
d’autres actions « plus radicales » avaient semble-t-il été évoquées.
Tout cela aurait pu déboucher sur une prise de conscience de la
population quant au caractère néfaste de la politique de santé malthusienne
conduite jusqu’à ce jour. Pour ce qui est du « groupe citoyen », lui
avait bien progressé sur ce sujet.
Le problème, me semble-t-il, c’est que maintenant qu’il y a un médecin,
l’activité de ce groupe d’habitants, pour un temps rassemblés, risque de ne
plus se sentir légitimée après cette victoire provisoire. C’est
dommage, car dans cette période de décrédibilisation de la démocratie
représentative, toute tentative de mobilisation citoyenne me semble devoir être
encouragée, renforcée. Même si l’équipe municipale devait en prendre ombrage
pour un temps.
Dans un pays où le repli sur soi devient la règle, où le taux
d’abstention est inquiétant, où les luttes citoyennes sont décrédibilisées
(voire criminalisées), l’existence d’un « collectif citoyen » aussi
faible soit-il, doit être confortée, accompagnée comme une richesse
incommensurable à préserver coûte que coûte.
Surtout que dans deux mois on risque d’avoir encore besoin de ces
citoyens. Ce collectif ne devrait-il pas se réunir à nouveau ? De
toute manière, ces personnes se trouveront un jour ou l’autre confrontées au
démantèlement du système de santé en place ou à la privatisation rampante de
notre assurance maladie. Autant qu’elles se soient préparées...
Commentaires
Je ne partage pas votre analyse des raisons conduisant à un "manque" important du nombre des médecins, surtout en campagne.
Dans la campagne, il ne manque pas seulement des médecins, mais.. des commerçants sur place, par exemple.
Voilà plusieurs siècles qu'on fait miroiter à l'Homme qu'il est mieux en ville, plus... cultivé, plus intelligent, plus riche, plus distrait, donc, pourquoi s'étonner que tant d'activisme idéologique conduise à faire déserter les campagnes comme lieux de vie à plein temps ?
Et que les médecins finissent par perdre le sens d'une... mission de soin, au profit d'un boulot/profession bien rémunéré de soignant, cela joue plus que toutes les politiques malthusiennes pour dégrader la situation actuelle.
Pour le collectif, il est de celui-ci comme peut-être de tout collectif... se rassembler autour d'une cause/d'un projet commun permet de vivre ensemble.
Dans l'absence du projet/cause... on voit ce qu'on voit, et pas seulement chez votre collectif, d'ailleurs..