Débat EuropaCity : Effectivement, deux logiques s’affrontent !
Par René Durand le dimanche 2 octobre 2016, 09:35 - Territoire - Lien permanent
Je n’avais pas obligatoirement envie de revenir dans mon blog sur EuropaCity. Mais bon, ce « projet de ouf » est tellement porteur de tout ce qu’il faut combattre, que je n’ai pu m’en empêcher. Le rapport que la commission particulière du débat public (CPDP) a publié ce 12 septembre dernier m’en offre l’occasion, puisque dans ses conclusions il décrit d’une manière tellement limpide les clivages économiques et sociaux dont ce projet est porteur.

C’est Eric Veillon qui a attiré mon attention avec un de
ses articles dans lequel il pourfend le travail de la commission, le qualifiant
de « pur scandale », il en dénonce le coût « (au moins)
600 000 euros (hors taxes !) » S’il y a scandale, c’est
bien la charge qu’il conduit ! Je tiens à lui rappeler (mais bien sûr, il
le sait !) que les frais engendrés par un débat public sont
obligatoirement financés par le maître d’ouvrage (ici le groupe Auchan). Enfin
l’objectif de ce débat, et donc le travail de la commission, n’est jamais de
dire si le projet doit être stoppé ou non. Seul le promoteur a la prérogative
de décider si, à l’issue de cette procédure, il le poursuit et dans quelles
conditions. Pour la CPDP, son objectif était (comme la loi le lui impose)
d’organiser un débat public, de faire en sorte que tous les avis s’expriment
(que cela fasse plaisir ou non). Dès lors, est-ce que
600 000 euros c’est cher pour instruire un débat démocratique public
autour d’un projet estimé à 3,1 milliards d’investissements, dont 2,6
financés par Auchan ? Que représente cette somme au regard des crédits
déjà dépensés par la famille Mulliez pour la promotion de ce
« machin » inutile et dangereux ?
Alors, soyons clairs, comme l’a annoncé dès le 12 septembre son
directeur (Christophe Dalstein), EuropaCity va continuer. Pouvait-il
dire autre chose ? « Nous avons décidé de poursuivre la mise en
œuvre du projet. Mais nous prenons bien sûr acte de la richesse des points de
vue exprimés lors de ce débat, qu’ils soient positifs ou négatifs,
favorables ou critiques. Nous travaillons d’arrache-pied pour faire évoluer ce
projet, l’adapter à ce qui a été dit pendant quatre mois. » Et
d’annoncer une nouvelle version qui pourrait être présentée en décembre
2016. Pour mémoire cette monstruosité dépasse toutes les
limites. Il s’étend sur 80 hectares de terres qui ne seraient donc
plus cultivées, comprend 230 000 mètres carrés de commerces,
150 000 mètres carrés de surfaces pour les loisirs (piste de ski, centre
aquatique, etc.) et 50 000 dédiés à la « culture » (salles de
spectacle, halle d’exposition, etc.), mais aussi des hôtels, des restaurants,
des espaces de congrès, etc.
Alors, comme se plaît à le prétendre l’ineffable Veillon, fallait-il un débat
pour ça ? Bien entendu !
Pour s’en convaincre, regardons de près les propos du président de la
CNDP Christian Leyrit. Le débat suscité par EuropaCity a amené
« beaucoup de questions relatives au modèle de société qu’il
représente [...] De nombreuses personnes ont été frappées par le gigantisme
du projet : pour certains, c’était une raison de s’y opposer, mais pour
d’autres, parmi lesquels le maître d’ouvrage, c’était au contraire l’enjeu de
sa réussite. » Quand Auchan avance un projet « en phase
avec la révolution des modes de vie, qui permet d’offrir en un même lieu des
activités commerciales, culturelles et de loisirs, des participants dénoncent
le développement d’un consumérisme effréné ».
Les conclusions du rapport sont à ce titre explicites.
« Il [ce débat]a mis face à face deux visions de la société
aux antipodes l’une de l’autre : en forçant un peu le trait, d’un
côté une société qui s’affranchirait de la course à la consommation pour aller
vers davantage de sobriété et s’engagerait vers une transition écologique et
énergétique, de l’autre une société attachée aux modes de vie urbains ou
aspirant à y avoir accès, mais taraudée par le chômage, et pour laquelle seul
un modèle plus classique de croissance et de développement économique permet
d’apporter des solutions durables.
Ces deux philosophies sont apparues d’autant moins conciliables que les très
importants montants financiers en jeu, apportés par une entreprise privée aux
filiales multiples, associée à une entreprise chinoise, fournissaient
l’occasion d’ouvrir des polémiques opposant, selon certains, l’intérêt
collectif qui ne devrait pas être contraint par des préoccupations d’équilibre
financier (au moins en ce qui concerne la culture) et la recherche du profit,
qui serait structurellement incompatible avec une utilité sociale. »
Deux logiques s’affrontent. D’un côté, l’humanisme, le
« local » où il s’agit d’optimiser les « atouts territoriaux et
en particulier le potentiel agricole », de rechercher le « vivre
ensemble », la « qualité de vie quotidienne ». De l’autre côté,
constatant l’enjeu métropolitain, les « contraintes de la concurrence
internationale entre métropoles », il est indispensable de se
« placer dans une situation favorable dans cette compétition ».
L’importance des « rapports publics/privés » est aussi une
cause de clivage. Ce projet « privé » se situe dans une ZAC
publique (portée par l’établissement public Plaine-de-France) et va bénéficier
d’aménagements financés par le contribuable : voirie de la ZAC, gare sur
la ligne 17 du réseau Grand Paris Express, mise à disposition du foncier
viabilisé, etc. La commission s’étonne à ce sujet du refus d’information sur le
contenu du protocole signé en septembre 2015 entre l’aménageur (l’EPA) et le
maître d’ouvrage (Auchan). Il serait couvert par le « secret des
affaires », d’où l’impossibilité de connaître le montant des fonds publics
affectés au projet (gare de la ligne 17, aménagements routiers dont
l’échangeur avec l’A1, etc. estimés pourtant à 1 milliard d’euros) ainsi que
les obligations (ou leurs absences) qui lieraient les deux partenaires. Ce qui
laisse penser que l’on est loin « d’un projet entièrement privé
contrairement à ce qu’affirmaient le maître d’ouvrage et certains
partisans… »
Effectivement dans ce type de débat (et quels que soient les projets,
hier CDG-Express, aujourd’hui EuropaCity), deux visions s’affrontent. Une
libérale où la course aux profits est le moteur et l’enrichissement une vertu,
mais qui va droit dans le mur, en raison des limites mêmes des ressources de
notre terre et des dégâts sociaux qu’elle engendre. L’autre mettant en avant
une société plus sobre, plus solidaire, où l’homme et la planète ne sont plus
des variables d’ajustement du système.
Pour ma part, mon choix est fait. Je combattrai tous ces grands projets
inutiles imposés !
Les liens :
- Le site de la commission nationale du débat public
- Le site du débat public d’EuropaCity