De l’absence de médecin dans la commune de Lacapelle-Marival (Lot)
Par René Durand le lundi 22 août 2016, 23:30 - Territoire - Lien permanent
Depuis le 1er juillet, il n’y a plus de médecin dans la commune de Lacapelle-Marival à quelques kilomètres de mon nouveau domicile. Le précédent toubib est parti à la retraite, et malheureusement n’a pas trouvé de successeur ! La population s’organise, les élus sont mobilisés et la solution, si elle existe, ne sera pas évidente. Il faut l’admettre, cette situation est le résultat d’une politique plus globale conduite depuis 45 ans, aussi bien par la droite que par la gauche, sous l’impulsion de l’ordre des médecins.

Mais cette situation n’est pas unique en France. Un article
du journal Le Monde du 2 juin 2016 intitulé :
« En 2025 la France aura perdu un médecin généraliste sur
quatre en vingt ans » dresse un tableau inquiétant :
« Les différentes aides financières à l’installation n’y auront rien
changé : la France manque toujours de médecins généralistes. Leur nombre a
diminué de 8,4 % entre 2007 et 2016, selon les chiffres publiés jeudi 2
juin par le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) dans son atlas de
la démographie médicale. Liée au non-remplacement d’une partie des départs à la
retraite, cette chute “inexorable” et “préoccupante” devrait même se poursuivre
jusqu’en 2025 (…) La pénurie affecte aussi bien des territoires ruraux que des
zones urbaines. Entre 2007 et 2016, tous les départements français — sauf la
Savoie (+1 %) et la Loire-Atlantique (0 %) — ont enregistré une
baisse de leur “densité médicale”... »
Cette catastrophe annoncée depuis des années est là. La logique du
système économique, les renoncements politiques des uns et des autres ont fait
le reste. Pour faire simple — et même TROP simple, car d’autres
facteurs ont certainement joué — pour gagner plus, dans notre système libéral,
il faut que ce que vous vendiez soit rare. Dans notre cas, moins il y a de
médecins, plus ils sont en capacité de faire payer cher leurs prestations, plus
ils devraient gagner de l’argent. Les politiques, entre autres sous la
pression de l’ordre des médecins, vont donc tout mettre en œuvre pour limiter
le nombre d’étudiants. C’est ce que l’on appelle le Numerus
Clausus.
Mais avant faisons un peu d’histoire pour mieux comprendre la logique de ce
système.
C’est en fait le régime du maréchal Pétain (loi du 7 octobre 1940
publiée au JO du 26) qui va créer l’ordre des médecins et supprimer en
conséquence les syndicats. Plusieurs textes vont compléter le
dispositif. Par exemple en juin 1941 est institué un premier « Numerus
clausus » réglementant l’exercice de la médecine par les médecins juifs.
À la libération, le principe d’un ordre est confirmé, sur proposition
du ministre de la Santé, M. François Billoux (PCF), par
l’ordonnance no 45-2184 « relative à l’exercice et à
l’organisation des professions de médecin, de chirurgien-dentiste et de
sage-femme ». En 1961, le Conseil d’État du 13 janvier 1961
précise le statut des ordres professionnels qui deviennent des organismes
privés chargés d’une mission de service public. Wikipedia nous
explique qu’il « faut désormais considérer l’ordre des médecins comme
la structure représentative de toute la profession médicale. L’ordre des
médecins est une entité qui regroupe l’ensemble des médecins inscrits au
tableau, et dont tous les membres sont élus par ces derniers ».
Aujourd’hui ses pouvoirs sont immenses, puisqu’il « est
l’interlocuteur, parfois même le conseiller des pouvoirs publics, notamment en
donnant son avis sur les projets de règlements, de décrets ou de lois qui lui
sont soumis par les autorités. » Pour l’anecdote,
rappelons-nous qu’en 1981, « la suppression de l’Ordre était la 85e des
110 propositions de l’engagement du candidat Mitterrand à la Présidence de la
République, qui qualifiait l’institution ordinale comme “une offense pour la
démocratie” ».
Venons-en au numerus clausus, qui dans le domaine de la santé,
« désigne un nombre fixe d’étudiants admis dans certains cursus chaque
année, principalement dans les professions de santé qui sont
réglementées ». Mise en place en France en 1971, cette
organisation de la formation a été régulièrement révisée, dernièrement par la
création d’une première année commune aux études médicales, pharmaceutiques,
etc. À l’issue de cette première année, le nombre d’étudiants admis dans
chacune des filières est fixé par voie réglementaire.
L’étude du nombre d’étudiants qu’on a ainsi autorisés à accéder aux
formations est éclairante. Pour la première année d’application de ce
numerus clausus (1972-73), ce nombre est fixé à 8 571, qu’on plafonnera à
8 671 quatre années plus tard. Rapidement la profession (l’Ordre)
s’inquiète et ce nombre va décroître pour atteindre 4100 en 1987-1988, puis
4 000 en 1990-1991 et même 3 576 en 1996-97. L’information qui tourne
en boucle à l’époque est qu’il y a trop de médecins (on parle de 20 000
praticiens qu’il faudrait reconvertir !). Dans ces années-là, lors d’une
émission télévisée intitulée « Y-a-t-il trop ou pas assez de médecins
en France ? » le représentant de la Confédération des syndicats
médicaux français (CSMF) ne cesse de dire qu’il y en a trop, alors que le
représentant de l’UNEF-ID pense que l’on manquera de médecins en 2020. L’avenir
lui a largement donné raison. Deuxième effet de cette baisse drastique, c’est
qu’elle se fait au détriment de la formation de médecin généraliste, le peu de
praticiens formés semblant préférer faire une spécialisation. Puis rapidement,
on va s’apercevoir que d’importantes disparités se sont fait jour en matière de
densité médicale. Ainsi en 1996 on constate une densité de spécialistes de 219
pour 100 000 habitants en Île-de-France, mais seulement 90 en Picardie.
L’inversion de la tendance du Numerus Clausus intervient au début des
années 2000, 4100 la première année, 5100 en 2002-03, 7100 en 2006-07. Le
gouvernement Valls a annoncé pour 2017 un nombre de 7 633 avec l’idée de
ne plus arrêter une valeur au niveau national, mais des valeurs par
région.
Il faut bien admettre que tout le monde avait annoncé la catastrophe
que nous connaissons. Confère le livre de Daniel
Wallach (Médecin des Hôpitaux de Paris) qui en 2011 publie un ouvrage
« Numerus Clausus : Pourquoi la France va manquer de
Médecins. » La très libérale revue
« Contrepoints » dans un article intitulé
« Le numerus clausus en médecine : chronique d’une
catastrophe annoncée » donne les statistiques du nombre de
diplômés par tranche de 100 000 habitants datant de 2007. La France avec
ses 6 diplômés arrive dans les dernières quand la moyenne de l’OCDE est à 9,6,
soit 60 % de plus ! Et de conclure : « Dans ces
conditions, les prévisions d’effectifs du Conseil national de l’Ordre des
Médecins (Cnom) sont tout bonnement alarmantes, malgré le fait que 27 %
des nouveaux inscrits à l’Ordre soient des médecins ayant été formés à
l’étranger. »
Ces explications données, que faire ? Et plus étroitement que
faire pour l’absence de médecin dans nos villages ? Le mouvement citoyen
aux manettes le décidera en toute indépendance et je compte bien m’y investir.
Cela dit je retrouve, dans cet exemple-là, les effets néfastes de cette
politique où l’appât du gain est le seul moteur et la santé publique
« bien commun » s’il en fût, la victime.
Les liens :
- Le « Numerus clausus dans l’admission aux études médicales françaises » sur le site de Wikipédia.
- Site du Conseil national de l’ordre des médecins.
- Cartographie interactive de la densité de praticiens en France sur le site de l’Ordre national des médecins.
- Site du Ministère des Affaires sociales et de la Santé.
Commentaires
« Intéressant... tu oublies aussi de dire que la médecine générale n’est absolument plus attractive avec une consultation au prix d’une coupe de cheveux, pour assurer un niveau de vie décente (rapportée à la charge de travail, au niveau d’étude et de responsabilité), faire de l’abattage à 15 min la consultation ça ne nous intéresse pas !
Tu vas me dire que les médecins sont pleins de fric et qu’ils en veulent toujours plus... mais ce n’est plus vrai ! Les revalorisations successives du tarif de la consultation n’ont absolument pas suivi l’inflation, les médecins généralistes ne gagnent bien leur vie (et il est absolument normal qu’ils gagnent bien leur vie !) qu’au prix désormais de journées et de semaines à rallonge au détriment de leur vie de famille. La profession s’est également très largement féminisée avec des exercices à temps partiel.
Je ne parle pas des contraintes administratives en tout genre et des contrôles vexatoires des caisses.
Bref vous (la population), vous vous rendez compte un peu tard que les médecins c’est important dans la société ! Et que donc, il faut mieux les rémunérer ET améliorez leurs conditions de travail (leur lâcher un peu la grappe). Combien étiez-vous à soutenir le mot de grève des médecins libéraux l’année dernière ?
Maintenant le mal est fait et la situation est catastrophique pour de plus en plus de territoire... Mais “c’est la faute aux médecins qui ne veulent plus s’installer en campagne”… faux, j’ai plein de copains ou d’internes qui le voudraient, mais la charge de travail dans les territoires sinistrés (et ils sont TRÈS nombreux) est totalement décourageante...
Tu sais je suis passé en médecine en 1998 une des années ou le numerus clausus étaient le plus bas [3700, je crois], et je connais bien le problème, j’ai mon diplôme de médecin généraliste. J’ai très vite compris que la médecine générale libérale se mourrait et j’ai changé pour faire de la gériatrie à l’HÔPITAL. Je pourrai également te parler des conditions de prise en charge des patients à l’hôpital, mais c’est un autre débat.
Personnes ne voit l’enfumage que l’on a subi avec la réforme Touraine, les gens ne se rendent pas comptent qu’il s’agit en fait de faire basculer l’ensemble des soins primaires aux mains des mutuelles qui ne sont en fait que des assureurs privés, qui vont eux ramasser le jack pot, au détriment de la qualité de prise en charge. Nous serons soumis financièrement aux payeurs (sécu et mutuelles) et pour un coût plus élevé.
La médecine libérale à la française constituait un maillage territorial de praticien ultra compétent pour un coût modeste (par rapport à l’hosto) et cela faisait du système de santé français l’un ou le meilleur du monde. On a voulu faire des économies d’abord en diminuant le nombre de médecins, et maintenant en déléguant ses soins aux assureurs privés... ça n’est plus la sécu qui paiera, mais les mutuelles (qui n’ont pas particulièrement de creuser le déficit comme l’a fait la sécu) donc on va diminuer les soins, contrôler les pratiques médicales. Quand c’est pour dérembourser les sirops contre la toux, ça passe, mais quand ce sera pour refuser une dialyse, un traitement anticancéreux ou une chirurgie parce que ce n’est pas rentable les gens feront une autre tête. »