Euro 2016 : « Panem et circenses » pour ces vilains !
Par René Durand le lundi 4 juillet 2016, 06:12 - Réflexions - Lien permanent
Il me semble important (en ces temps difficiles et seulement de temps en temps parce qu’au-delà ils y prennent goût) de permettre aux « vilains » et autres « sans dents » quelques instants de liesse ! En cette période de régression sociale, cela est bien. La quinzième édition du Championnat d’Europe des nations de football encore dénommée « Euro 2016 » qui se termine (le 10 juillet 2016) tombe à pic. Cela peut leur permettre d’oublier les misères de ce monde. Cela est d’autant mieux que cela ne coûte pas grand-chose aux organisateurs (le contribuable est là pour cela), mais leur rapporte un maximum ! Démonstration ?
Rappelons que cette compétition est organisée par l’Union européenne
des associations de football (UEFA). C’est Michel
Platini, le président de cette organisation, qui en a négocié les
détails il y a deux ans de cela. Depuis, ce président a été condamné
par la commission d’éthique de la Fédération internationale de
football (FIFA) pour « abus de confiance », « conflit
d’intérêts » et « gestion déloyale ». En cause, un paiement de
1,8 million d’euros, effectué en 2011, sans contrat écrit, par l’ancien
président de la FIFA Joseph Blatter, lui-même condamné et suspendu ! Si
j’en crois le site de l’UEFA, « ses objectifs sont, entre autres, de
traiter toutes les questions relatives au football européen, de promouvoir le
football dans un esprit d’unité, de solidarité, de paix, de compréhension
mutuelle et de fair-play, sans aucune discrimination politique, raciale,
religieuse, sexuelle ou autre, de préserver les valeurs du football européen,
d’entretenir des relations avec tous les acteurs impliqués et de soutenir et
protéger ses associations membres pour le bien-être global du football en
Europe. » De bien beaux principes que je ne confronterai pas
à la réalité. Pour ce qui est du président de l’UEFA, théoriquement
suspendu, il convient de se rassurer il est toujours en poste ! Mais
rentrons dans le vif du sujet.
Pour accueillir cette compétition, les Français ont dû faire quelques
dépenses. Quatre stades ont été construits, à Lille (Pierre-Mauroy,
livré en 2012), Nice (l’Allianz Riviera, livré en 2013), Lyon
(Stade des Lumières, livré en janvier 2016) et Bordeaux (Bordeaux-Atlantique,
depuis rebaptisé Matmut Atlantique, livré en mai 2015). D’autres ont été
rénovés comme ceux de Lens (Bollaert-Delelis), Marseille (Stade Vélodrome),
Paris (Parc des Princes), Saint-Étienne (Geoffroy—Guichard) et Toulouse
(Stadium). Ces différents chantiers ont coûté 1,64 milliard d’euros.
Ces constructions se sont faites dans le cadre de contrats de type
« partenariat public privé ». Si l’UEFA va payer la location
de ces stades pendant la compétition, une fois la fête finie, ce sont les
collectivités (et donc les impôts locaux de leurs habitants) qui vont prendre
en charge les coûts de mise à disposition de ces équipements pour leurs propres
besoins. Il y a certainement mille et une justifications pour ces
investissements, mais se seraient-ils faits (avec cette temporalité) s’il n’y
avait pas eu cette compétition ? N’y avait-il pas dans ces villes d’autres
priorités ?
Il n’y a pas que ces dépenses qui sont à la charge des contribuables.
La gestion de la sécurité l’est aussi. Dans cette période complexe, le
gouvernement socialiste a mis « les petits plats dans les grands ».
Lors d’une conférence de presse, Bernard Cazeneuve donnait des gages et
annonçait la mobilisation de 42 000 policiers et 30 000
gendarmes. Les congés et formations des agents de la préfecture de
police de Paris ont ainsi été suspendus durant la période. Côté privé,
les organisateurs vont aligner quelque 10 000 personnes. La mise en
sécurité de ces « fans zones », ces espaces dédiés aux supporters,
a nécessité des dépenses supplémentaires liées à la généralisation des
fouilles à l’entrée, aux dispositifs de vidéosurveillance, aux détecteurs
de métaux, etc. Les coûts ont dès lors flambé et s’élèvent à 17
millions d’euros, soit 7 de plus que ce qui avait été évalué au départ. Ils
seront financés pour 3 à 4 millions par l’UEFA, 5 par l’État et 8 à 9 par
les villes-hôtes.
Dans cette aventure, le contribuable n’intervient pas seulement dans
les dépenses, mais il devra aussi compenser le manque à gagner puisque cette
manifestation est défiscalisée. L’Assemblée Nationale a effectivement
adopté l’exonération fiscale de l’Euro 2016. En 2010, Éric
Woerth et François Baroin, deux ministres du budget
quand la droite était au pouvoir, s’y étaient engagés. Fin 2014, les
socialistes l’ont fait voter dans la loi de finances rectificative
2014 (article 24). Quel est le coût de cette mesure ? La
rapporteuse de ce texte, la députée Valérie Rabault (PS) l’estime entre 150 et
200 millions d’euros ! Le journal Médiapart
précise : « Une question d’autant plus brûlante que l’UEFA,
comme les multinationales les plus à l’aise dans ce jeu de l’optimisation
fiscale agressive, ne paie presque pas d’impôt dans son pays de domiciliation,
la Suisse. Elle y est considérée comme une organisation d’utilité publique
et à but non lucratif. À ce titre, elle n’est quasiment pas taxée : pas
plus de l’équivalent de 400 000 euros en 2013 par exemple, selon le
Vert Éric Alauzet, pour des millions d’euros de bénéfices. »
Si certains contribuables vont pouvoir oublier les effets néfastes de la loi
travail pendant la retransmission des matchs de l’Euro 2016 qu’au total on leur
a fait financer, d’autres gagnent de l’argent, beaucoup,
énormément !
- Les joueurs : les primes versées par l’UEFA pour l’Euro 2016 sont en nette hausse. Les équipes qui participent à l’Euro 2016, se partageront 301 millions d’euros. L’équipe vainqueur percevra 8 millions d’euros. Si l’équipe de France gagne l’Euro chez elle, chaque joueur touchera 300 000 euros.
- Les sponsors : si le sponsoring de Carlsberg n’est pas sans poser problème, d’une manière générale les « partenaires » de cette manifestation sont dès à présent contents. Selon le sondage Toluna pour le magazine « Sport Stratégies », les bonnes audiences des matchs à la télévision ne peuvent que réjouir les grandes marques. Un excellent article de Médiapart rappelle toutefois les pratiques des équipementiers Nike, Adidas et Puma pour ce qui est de la fabrication des produits : « Lorsque les fans de l’équipe de France, d’Angleterre ou d’Italie endosseront leurs maillots flambant neufs pour suivre les exploits de leur équipe fétiche… ils devraient garder ce chiffre en tête : le maillot qu’ils ont généralement acheté autour de 85 euros n’a coûté que 5,85 euros à produire. Et les ouvriers qui l’ont fabriqué n’ont été payés en moyenne que 65 centimes d’euros pour le faire. »
- Etc.
« Panem et circenses » (traditionnellement « Du pain
et des jeux ») est une expression latine qui permettait de dénoncer
l’usage de ces pratiques par les empereurs romains, dans le but de flatter le
peuple et de remporter son adhésion.
Les liens :
- Le site officiel de l’Euro 2016.
- Le Championnat d’Europe de football sur Wikipédia.