L’ordre et la liberté, l’État et le citoyen.
Par René Durand le vendredi 25 décembre 2015, 19:08 - Réflexions - Lien permanent
Je vais commencer par lever toute ambiguïté : ce qui suit ne peut-être considéré comme une tentative d’excuser ou de banaliser les attentats du 13 novembre dernier. Ce sont des actes ignobles perpétrés par des assassins fanatiques, fous d‘un Dieu dans lequel aucun être humain ne peut se reconnaître. L’islam n’est malheureusement pas la seule religion à avoir en son sein des malades mentaux capables de telles choses en son nom. Ce qui m’intéressera dans ce billet ce sont les conséquences de l’état d’urgence mis en place au lendemain de ces atrocités et de la révision de la constitution que notre gouvernement envisage.

Dès le lendemain, le 14 novembre, l'état d'urgence est décrété
sur l'ensemble du territoire par le Président de la République à
l’issue d'un Conseil des ministres extraordinaire. C’est la loi n° 55-385
du 3 avril 1955 qui en fixe le cadre. L’état d’urgence est applicable
« soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre
public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité,
le caractère de calamité publique ». Il donne aux autorités civiles des
pouvoirs de police exceptionnels quant à la circulation et le séjour des
personnes, la fermeture des lieux ouverts au public, etc. Il peut aussi prévoir
un renforcement des pouvoirs en matière de perquisition et de contrôle des
moyens d'information. Conformément à la constitution, le gouvernement a
présenté au parlement un projet de loi prorogeant cet état d'urgence pour une
durée de 3 mois et renforçant les dispositions d’origine. Le
19 novembre 2015, l'Assemblée adopta ce texte à une large majorité.
Seulement six députés (3 PS et 3 EELV) votèrent contre. Le lendemain, le
Sénat l’adopte définitivement et à l'unanimité (12 abstentions). Le
20 novembre 2015, le président de la République promulgua cette loi
(no 2015-1501).
François Hollande l’avait annoncé lors de la réunion du Congrès à
Versailles le 16 novembre, il souhaitait compléter ce dispositif par une
réforme de la Constitution. Il a proposé son « projet de loi
constitutionnelle de protection de la nation » au cours du conseil des
ministres du 23 décembre. Ce texte a pour vocation de
constitutionnaliser les conditions de déclenchement de l’état d’urgence.
Entre autres mesures, et après de nombreuses hésitations, est intégrée
« l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés français
reconnus coupables de faits de terrorisme ». Une étape de plus est
franchie dans les concessions à la droite extrême.
Après que plusieurs années de politique d’austérité (autant conduite
par la droite que par le PS) ont lentement affaibli l’ensemble de l’appareil
d’État : enseignement, police, justice, les attentats de janvier
et de novembre sont venus nous rappeler à la réalité. Ainsi en réponse aux
terroristes et leur logique de peur (qui met en danger la démocratie), Hollande
met en place l’état d’urgence parce que ce serait LE moyen de défendre notre
système de valeurs. Reprenant à son compte le « bon mot » de
Charles Pasqua : « il faut terroriser les
terroristes », le gouvernement a mis en place un
système politique où la « peur » devient une manière de
gouverner ! Il ne s’agit pas de prévenir les actes de terrorisme
(ce qui semble extrêmement difficile, voire impossible, puisque par définition,
le terrorisme n'exécute que des premiers coups), mais d’établir un nouveau type
de relations fondé sur un contrôle généralisé des citoyens (y compris des
données informatiques et du contenu de leurs ordinateurs). Dans cette logique,
Giorgio Agamben nous explique dans le
Monde, que l’État « sécuritaire » (qui fonde
durablement sa politique sur la peur) « doit, à tout prix,
l’entretenir, car il tire d’elle sa fonction essentielle et sa
légitimité. » Cet État se complaît alors dans une situation de
« dépolitisation progressive des citoyens, dont la participation à la
vie politique se réduit aux sondages électoraux. »
Prenons un peu de temps pour regarder le bilan de cette première
période d’état d’urgence. En cinq semaines (du 14 novembre au
22 décembre), il a abouti à une forte augmentation du nombre de
perquisitions administratives, menées par la police sans avoir besoin d’en
référer à la justice. Ainsi on a compté 2 764 perquisitions qui ont
abouti à 339 interpellations et 294 gardes à vue. Pour autant,
l’immense majorité des opérations n’ont pas eu de retombées en matière de lutte
antiterroriste. Armes, drogues sont plutôt l’ordinaire des découvertes faites
par la police durant ces perquisitions. Sur les 488 procédures lancées sur
tout le territoire, 9 ont été classées sans suite, 185 ont abouti à des
poursuites et 58 peines ont déjà été prononcées. Pour sa part,
Jacques Toubon (ancien ministre de Chirac et
Défenseur des droits depuis 2014) dans une interview sur
France 2, pense que l’état d’urgence a engendré
« un certain nombre de dérives ou plutôt d'approximations »,
constat basé sur les réclamations reçues et le travail fait par l'Assemblée
nationale et le Sénat. Il explique que « les mesures [...],
perquisitions administratives, assignations à résidence, ont été prises un peu
larges ». Et de continuer : « Aujourd'hui, la loi a
prévu des restrictions de liberté. Mais [...] au fur et à mesure, on va
s'apercevoir qu'il y a un certain nombre de cas dans lesquels les mesures qui
ont été prises ont été excessives. »
Pour le Syndicat de la magistrature, la lutte contre la
criminalité terroriste et sa prévention passent, au contraire, par la mise en
œuvre « des moyens suffisants aux acteurs de la lutte
antiterroriste ». Le rétablissement d’un service public de qualité en
capacité de « prévenir, rechercher et punir les
infractions » est la solution. La ligue des Droits de
l’homme explique que « l’état d’urgence et le climat de
guerre intérieure alimenté par le gouvernement contribuent au renforcement des
amalgames et aux pratiques discriminantes, notamment de la part des forces de
police. Ce ne sont pas ‘les terroristes qui sont terrorisés’, ce sont des
jeunes et des populations victimes de l’arbitraire en raison de leur origine
et/ou de leur religion qui voient leur situation encore davantage
fragilisée. »
La constitutionnalisation de l’état d’urgence, la mise en œuvre de la
déchéance de la nationalité constituent une banalisation de plus de l’État
sécuritaire dans lequel la lutte antiterroriste n’est qu’un prétexte tacticien
pour survivre politiquement et se faire réélire. La bonne nouvelle
pour ce gouvernement, c’est que le vote favorable des deux sénateurs et des
deux députés du Front national lui est acquis. Ils ont en effet annoncé vouloir
voter cette révision constitutionnelle. Florian Philippot
a expliqué sur France-Info que la déchéance de nationalité
pour les binationaux convaincus de terrorisme les a définitivement
convaincus : « C'était pour nous une condition importante donc je
pense que nous pourrons voter cette révision constitutionnelle, même si c'est
faible », Marine Le Pen ajoutant que ceci est
« le premier effet des 6,8 millions de voix pour le Front
national [obtenues lors des] élections régionales ».
Que feront cette fois-ci nos députés et sénateurs de gauche
(Front-de-Gauche, EELV, gauche du PS, etc.), maintenant que les élections
régionales ont eu lieu, et qu'ils n’ont plus besoin de faire plaisir aux
électeurs du FN qui de toute façon n’ont pas voté pour
eux ?
Les liens :
- Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.
- Loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.
- « Contrôle parlementaire de l'état d'urgence » sur le site de l’Assemblée nationale.
- Site officiel du « Défenseur des droits ».
- Site officiel : « Nous ne céderons pas ».
Commentaires
Merci beaucoup!
Sale fin d'année :
La France se déshonore... Pour RIEN en plus, car ces fous prêts à mourir, n'ont que faire d'une déchéance de la nationalité, tout simplement!!
Cela n'aura AUCUN effet dissuasif !!!!
Tout ça pour courir après les voix du FN...
Le temps est bien loin où Michel Noir, homme de droite, avait dit : "Mieux vaut perdre une élection que de perdre son âme".
Merci pour cet éclairage intéressant René ;
Bonne année quand même ;
Santé, bonheur et sérénité pour vous et vos proches.
Amicalement