« Femen » et féminisme : Le corps des femmes comme arme de combat ?
Par René Durand le jeudi 24 septembre 2015, 23:41 - Réflexions - Lien permanent
Cela faisait plusieurs mois que je voulais écrire un article sur la question des « Femen ». La dernière irruption de nos activistes au « salon de la femme musulmane 2015 » de Pontoise va donc servir de déclencheur. La question pour moi ne sera pas de traiter de ce salon, ni de la manifestation du 1er mai du FN où elles firent aussi leur apparition, mais de la pertinence des modes d'action mis en œuvre. Que faut-il en penser ? Après lecture de nombreux articles, de nombreux avis et après de nombreuses discussions avec des proches, je reste partagé !

La liberté d'expression existe dans notre pays. J'ai le droit d'être
athée, militant même. Si j'en crois Wikipedia :
« L’athéisme est une attitude ou une doctrine qui nie l’existence de
quelque dieu ou divinité que ce soit .../... C'est une position
philosophique qui peut être formulée ainsi : il n'existe rien dans
l'Univers qui ressemble de près ou de loin à ce que les croyants appellent un
dieu, ou Dieu. » Cette définition me convient parfaitement. Si les
églises ont le droit de manifester pour leur croyance, j'ai aussi le droit de
contre-manifester, de montrer mon opposition à la croyance affirmée ou l'idée
exprimée. Car ce qui est vrai dans le débat religieux l’est pour tous les
sujets de société. Ce droit, la presse s’en empare à juste titre et il faut
reconnaître que parfois cela lui coûte cher. Enfin un point essentiel, quel que
soit le sujet d'ailleurs, c’est que l’acte mis en œuvre pour exprimer son avis
doit avoir lui aussi du sens. La forme de l’action doit être adaptée à
ce que l’on veut combattre et ne doit pas produire de contre-sens. Si les mots
ont un sens, les actes en ont aussi un.
Revenons à la dernière actualité du « salon de la femme
musulmane 2015 » de Pontoise. Nos
« sextrémistes » souhaitaient protester contre l’image que de leur
point de vue l’islam donne de la femme. À postériorité, dans l'interview
qu’elle donnera aux InRocks, Inna Shevchenko
des Femen corrigera son discours du 15 septembre auprès de l’AFP :
« J’ai dit que les imams ont abordé cette question par le fait même
d’expliquer que, comme Mahomet ne battait pas sa femme, les hommes ne doivent
pas le faire. Pour nous, le fait même de rappeler qu’il ne faut pas battre sa
femme est en soi un débat puisque cela n’est pas évident pour toute
l’audience. » Que ce soit avec les religions (musulmane, juive ou
catholique), avec les intégristes (manif pour tous) et la droite dure (FN en
particulier) les Femen ne sont pas tendres avec les éléments les plus
symboliques de la « fachosphére » ! Le mode d’intervention est
toujours le même : elles font irruption, seins nus et slogan peint sur la
poitrine. Dans le dernier cas (celui de Pontoise), le slogan était
« Personne ne me soumet » et elle scandait
le mot d'ordre « Personne ne me soumet personne ne me possède, je
suis mon propre prophète ! ». Il faut bien admettre que les
interventions des Femen se terminent toujours de la même manière, elles sont
brutalement évacuées (souvent frappées) et la « victime » porte
plainte. Wikipedia commente : « Elles
choisissent ainsi de dénuder leur poitrine, les seins nus symbolisant la
condition des femmes ukrainiennes : pauvres, vulnérables et seulement
propriétaires de leurs corps. Anna Hutsol déclare qu'avec Femen, a été
‘inventée une façon unique de nous exprimer, basée sur la créativité, le
courage, l'humour, l’efficacité, sans hésiter à choquer’. Anna Hutsol
ajoute que ‘les gens ne s’intéresseraient pas à notre message si nous n’étions
pas habillées de cette façon’ ».
Que dire de ces actions, violentes, médiatiques et/ou
provocatrices ? D’abord, regardons les cibles. À partir de la
liste dressée par Wikipédia il faut bien admettre que les cibles des actions
conduites par les Femen en France n’ont, à mes yeux, rien pour me déplaire.
Quelques exemples ? En 2011, en tenue de soubrettes elles manifestent
devant l'hôtel particulier parisien de Dominique Strauss-Kahn, en 2012,
devant l'ambassade d'Ukraine, elles réclament une compétition « sans
prostitution » à l'occasion du Championnat d'Europe de football 2012,
la même année, déguisées en nonnes, elles interviennent dans une manifestation
organisée par l'institut Civitas contre le projet de loi du mariage pour tous,
en 2013, après une action très controversée à Notre Dame de Paris, elles
interviennent devant la Grande Mosquée de Paris et brûlent un drapeau
salafiste, le 1er mai 2015, lors de la manifestation du Front
national, trois Femen, déroulent des drapeaux « Heil Le Pen » au
balcon de l’hôtel voisin, etc. J’en passe et des meilleures.
Par contre, listons les critiques que nous pourrions
faire.
Premièrement, ce ne sont que des actions provocatrices en mode
commando. L’objectif est, avec un minimum de mobilisation (2 à
3 militantes), de « faire du buzz ». Un événement déjà médiatisé
sert de support à l’action, la presse est convoquée et comme il y a des images
« chocs » à prendre, elle se déplace. Beaucoup de journalistes donc,
l’action va rapidement être relayée dans les médias. Pas de mobilisation de
masse, pas d’explication, les quelques minutes de film qui en sont tirées
doivent suffire pour dire et donner le sens. Le petit plus c’est quand le
service d’ordre se montre brutal : la frêle et jolie jeune fille
maltraitée fait vendre !
Deuxièmement, je fais partie des gens qui pensent que les actions
militantes doivent être massives, impliquer le plus grand nombre et
ainsi participer à l’élévation de son niveau de conscience. Nous ne sommes
manifestement pas dans cette logique.
Troisièmement, et je partage en cela l’avis de nombreuses féministes,
l’utilisation du corps de la femme tel qu’il est fait pose problème.
Les titres de la presse en disent long : « L’Ukraine à poil »
pour Libération, « Striptease militant » pour Le Figaro ou encore
« Les seins nus font de la politique », pour La Libre Belgique. Le
journal Regards nous explique : « Montrer ses
seins pour dénoncer le tourisme sexuel, utiliser son corps pour servir la cause
des femmes, la méthode est ambiguë. » De nombreuses militantes ne se
sentent « pas proches de leurs méthodes, qui conduisent à
l’exhibitionnisme et à la victimisation, sans apporter de
résultats. »
Quatrièmement, Sara Salem (Doctorante à l'Institut des sciences
sociales des Pays-Bas), dans Le Monde du 13/06/2013, parle d’un
« féminisme de type néocolonial ». Elle explique
que les premiers mouvements de femmes (Europe et États-Unis) ont eu tendance à
universaliser leurs luttes, « fondaient leur féminisme sur leur propre
expérience et entendaient le faire adopter par les femmes du monde entier,
lesquelles vivaient pourtant des expériences totalement
différentes. » Les Femen semblent renouer avec ce modèle d’action
maintenant remis en cause. Une grande partie de leurs interventions ont, par
exemple, pour objectif « les femmes musulmanes qu'elles entendent ‘libérer’
et ‘sauver’ des hommes musulmans, de la culture musulmane et de l'islam en
général » !
Ainsi donc, au-delà de la sympathie que l’on pourrait avoir dans un
premier temps, les actions conduites par les Femen semblent effectivement poser
question.
Extrait du Tartuffe de Molière.
TARTUFFE
Couvrez ce sein, que je ne saurais voir.
Par de pareils objets, les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.
DORINE
Vous êtes donc bien tendre à la tentation ;
Et la chair, sur vos sens, fait grande impression ?
Certes, je ne sais pas quelle chaleur vous monte :
Mais à convoiter, moi, je ne suis pas si prompte ;
Et je vous verrais nu du haut jusques en bas,
Que toute votre peau ne me tenterait pas
Les liens :
- Le site officiel des Femen.