J’suis qu’un pov’paysan !
Par René Durand le samedi 8 août 2015, 16:15 - Réflexions - Lien permanent
Quand j’étais bien plus jeune, Fernand Raynaud m’a beaucoup fait rire, avec son sketch sur ce pauvre paysan qui nous répètait en boucle : « Ca eût payé, mais ça paye plus ! ». Nous étions dans les années soixante. Je vous proposerais bien, ce jour, une version actualisée de ce personnage. Il est vrai que ce pauvre paysan d’aujourd’hui est simultanément patron de diverses entreprises agroalimentaires et pour faire sens, patron de la FNSEA et donc de la totalité des chambres d’agriculture ! Ce pov’paysan là se nomme Xavier Beulin !

Enfant d’agriculteur, le petit Beulin arrête très tôt ses
études (au décès de son père, un classique) ; il obtiendra
toutefois un BEPA en formation accélérée. Il devient rapidement fermier et
aujourd’hui il exploite (il a encore le temps ?), avec son frère et deux
cousins dans le cadre d’une EARL (Exploitation agricole à responsabilité
limitée), une ferme de 500 ha de blé, de colza, d’orge, de maïs, de
tournesol qui intègre aussi un atelier de production laitière avec un quota de
150 000 litres.
Il s’engage très rapidement dans le militantisme agricole, d’abord
auprès des jeunes agriculteurs, puis à la FNSEA. En 1990 il devient
vice-président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants
agricoles du Loiret et vice-président du CETIOM (Centre technique
interprofessionnel des oléagineux métropolitains). En 2002 il devient président
de l’EOA (Alliance européenne des oléoprotéagineux), en 2008 président du
« Grand port maritime de La Rochelle » et en novembre 2009, président
du conseil d’administration de « FranceAgriMer ». Le 16
décembre 2010, il accède au poste de président de la FNSEA et devient donc le
premier « céréalier » à cette fonction, historiquement occupée par un
« éleveur ». Il est réélu sans surprise à ce poste le 9 avril 2014,
puisque seul candidat !
Belle ascension pour ce jeune agriculteur ! Mais, il faut le dire, cet
homme n’est pas qu’un agriculteur ! Le Monde nous
explique les multiples facettes de ce personnage qui préside aussi (depuis
2000) la société « AVRIL » (ex-AVRIL-Sofiprotéol),
un groupe créé en 1983 par les producteurs d’oléagineux, et devenu un acteur
majeur de l’agriculture en France : « AVRIL travaille dans deux
domaines : la fabrication d’huiles végétales (colza, tournesol) avec ses
déclinaisons (biocarburants, chimie...) et l’alimentation animale (tourteaux
issus du colza et du tournesol et destinés à nourrir le bétail, mais aussi
transformation et commercialisation des œufs, du porc ou de la volaille). Sa
filiale, Sofiprotéol, intervient financièrement tout au long des filières des
huiles et protéines et de secteurs connexes comme la transformation laitière.
Sofiprotéol prête en fait de l’argent à des agriculteurs et à des industriels
des filières agroalimentaires.../... AVRIL compte plus de 8 000
salariés et réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 7 milliards
d’euros. Le groupe est numéro 1 des œufs et de la nutrition
animale en France, mais aussi premier producteur de biodiesel et d’oléochimie
en Europe. » Si la holding« Sofiprotéol » n’est pas connue
du grand public, bien que présente dans bien des domaines, il n’en est pas de
même des marques distribuées. Par exemple pour l’alimentation animale c’est la
marque « Glon Sanders » et pour l’alimentation
humaine ce sont les huiles « Lesieur » et
« Puget » ou les œufs
« Mâtines ».
Ces activités placent notre « paysan » au centre du petit
monde des affaires. Cela lui a permis de tisser un important réseau
d’intérêts au cœur du capitalisme national. Ainsi on trouve au conseil
d’administration d’« AVRIL » : Anne Lauvergeon,
ancienne dirigeante d’Areva (à noter que le chiffre d’affaires de cette société
est du même ordre de grandeur que celui d’AVRIL-Sofiproteol !),
Jean-Pierre Denis, ancien secrétaire général adjoint de
Jacques Chirac à l’Élysée et actuel président de Crédit Mutuel Arkéa et Crédit
Mutuel de Bretagne, Pierre Pringuet, qui préside l’Association
française des entreprises privées (AFEP), un lobby très influent,
Patrice Gollier, ancien directeur général d’InVivo, la plus
grande coopérative agricole de France, etc. Si sa place dans le monde
des affaires « positionne » notre agriculteur, sa présidence de la
FNSEA le rend par bien des côtés incontournable. Rappelons que la
FNSEA dirige les chambres d’agriculture, siège dans les SAFER (achats de terres
agricoles), siège dans certaines banques, est présente au sein des assurances
(Groupama), de la sécurité sociale des agriculteurs (MSA), des organismes de
formation et d’enseignement agricole, etc.
Politiquement, de par sa présidence de la FNSEA et son poids dans
l’agro-industrie, notre pauvre paysan a ses entrées dans bien des
structures ! Le journal Reporterre nous explique
d’ailleurs que « sous Hollande, on ne dit pas non à Xavier
Beulin. » Le journal développe : « Quand
Xavier Beulin, coiffé de son chapeau de la FNSEA, monte au créneau, il obtient
gain de cause. Avant les élections de 2012, il s’était prononcé pour un
ministère de l’Agriculture et de l’agroalimentaire, il l’a obtenu. Il
souhaitait voir Stéphane Le Foll plutôt qu’un autre au ministère de
l’Agriculture en cas de victoire du PS ; son vœu a été exaucé. Le rejet de
l’écotaxe ? Après des manifestations plus que musclées, il a été accepté.
Agrandissement des élevages ? C’est fait pour les porcs et les volailles.
« Directive nitrates » ? La FNSEA en fait une grosse colère, Manuels
Valls l’a remise en cause. Aides aux retenues d’eau pour l’irrigation ? Le
ministre Le Foll obtempère ».
Ce mélange des genres a d’ailleurs de nombreuses fois été dénoncé. La
double présidence d’un grand groupe agroalimentaire (AVRIL) et de la FNSEA pose
bien évidemment un problème. Même s’il s’en défend comme récemment
dans son interview sur France-Inter.
Pour ma part je n’ai qu’une interrogation : Les vrais pauvres
agriculteurs peuvent-ils se reconnaître dans un syndicat dirigé par un tel
individu ?
Les liens :
- Le site officiel de la FNSEA.
- Le site de la Confédération Paysanne.
Commentaires
Bravo René pour cet article.
A bientôt
C’est grâce à ce genre de personne, que notre société et nos agriculteurs galèrent. Décideur et parties prenante.
On n’a pas fini de ramer avec des « zigotos » de l’espèce.
Reprendre possession de nos terres et refuser l’agriculture industrielle est un implication de contre pouvoir.
Très bon article que je partage complètement. Oui le mélange des genres (président de la FNSEA , et de la SA Sophiproteol n'est pas très compatible)
De plus je ne pense pas qu'il puisse défendre l'agroecologie que Nouvelle Donne défend avec force .
Je ne partage pas sa vision d'une agriculture industriel (ferme des 1000 vaches, porcherie du poitou avec ces 23000 porcs, et bientôt en Alsace ses 1200 taurillons).
Ce n'est plus de l'agriculture au sens noble, créateur de richesses et d'emplois. A chacun d'entre nous de se réveiller pour arrêter le massacre.