50 ans de la politique de l’eau, et les usagers dans tout cela ?
Par René Durand le jeudi 30 octobre 2014, 06:51 - Eau - Lien permanent
Le 21 octobre dernier, à la maison de la Chimie à Paris, les
professionnels de l’eau se retrouvaient pour célébrer le cinquantième
anniversaire de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964.
On considère généralement que cette loi « relative au régime et à la
répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution » est
fondatrice du système en place. On était « entre soi » pour
s’auto-congratuler sur ses bienfaits. Tout le gratin était là :
fonctionnaires de haute lignée, politiques traditionnellement à la
« une » sur ce sujet, ministre actuel
(Ségolène Royal) et anciens ministres, etc. Il ne
manquait, bien sûr, aucun des représentants de ces « grandes entreprises
de l’eau », à la pointe dans leur capacité à s’enrichir. Tout
compte fait, il ne manquait que les représentants des usagers, à quelques
exceptions près !
Si tout ce beau monde semblait satisfait de notre beau modèle
français, quelques couacs venaient affadir le propos. Oui, la mise en
place, en 1964, d’une politique centrée autour de la réalité que sont les
bassins hydrographiques des rivières était pertinente. La création de grandes
agences de l’eau (anciennement agences de bassin) a certainement été un
progrès. Toutefois, si j’en crois Wikipedia, cette construction s’inspirait
« du modèle allemand des Genossenschaften, syndicats coopératifs de
gestion de l’eau, le premier en 1904 gérant le bassin de l’Emscher ». Dans
le même esprit « ont été mises en place en Espagne en 1940 les
Confédérations hydrographiques. » Du coup je ne suis plus persuadé du
caractère pionnier de la démarche.
À noter que les politiques conduites par ces agences sont financées par
les usagers. Sur tous les mètres cubes d’eau consommés et payés par
ceux-ci, elles vont prélever des redevances qui seront redistribuées (une
partie seulement, voir plus loin) sous forme d’aides ou de subventions pour des
actions de nature à améliorer la qualité de l’eau.
Très rapidement, des critiques, plus ou moins voilées, vont s’élever
dans la litanie des propos lénifiants.
La France doit rapidement se mettre en conformité avec la directive
Nitrates de l’Union européenne. Rappelons que cette directive vise
essentiellement les apports et excès de nitrates d’origine agricole. En effet,
notre pays vient une nouvelle fois d’être condamné par la Cour de
justice de l’Union européenne (CJUE) ce 4 septembre dernier. L’arrêt
qui constate les « manquements chroniques » de la France semble être,
si j’en crois le Monde, « un prélude à une possible amende de
plusieurs dizaines de millions d’euros, voire à des astreintes journalières qui
alourdiraient considérablement le montant réclamé ». Est en
particulier visé le manque d’autorité de l’État pour faire respecter les
bassins versants dont les teneurs en nitrates dépassent déjà les 50
milligrammes par litre. Il est vrai que le lobby de la FNSEA
sur les parlementaires est pesant. Vous trouverez ici
dans un des articles du blog de Marc Laimé :
« Les eaux glacées du calcul égoïste » intitulé
« Nitrates : l’extension des zones vulnérables décriée dans la Creuse,
le Cantal et la Nièvre » ou comment les parlementaires des
départements concernés, mobilisés par la FNSEA, interviennent à coup de
questions écrites contre l’extension du classement de milliers de nouvelles
communes en zone vulnérable aux nitrates.
L’eau étant pour l’État une marchandise, la première conséquence est
que le service de l’eau est un service industriel et commercial. D’où
cette seconde conséquence, érigée en principe : « l’eau doit
payer l’eau ». C’est en vertu de ce principe que, pour chaque
mètre cube d’eau, on vous fait payer d’une part le nettoyage de l’eau que vous
avez polluée en la consommant (c’est la redevance d’assainissement) et d’autre
part les redevances reversées aux agences de l’eau et qui financent les
politiques mises en œuvre (voir ci-dessus). Sauf que ce beau principe (que pour
ma part je conteste) est mis en défaut par l’État lui-même. Premièrement, il
vous fait payer des impôts sur l’eau consommée par le biais d’une TVA.
Deuxièmement, et cela est nouveau, pour pouvoir continuer à faire des
cadeaux fiscaux aux entreprises, il a décidé de racketter les agences de
l’eau. Ces établissements publics, tous dirigés par des amis sûrs,
avaient loyalement accepté un prélèvement « exceptionnel » de
210 millions d’euros sur leurs budgets, que le projet de loi
de finances pour 2014 avait instauré. Il s’agissait d’une « nécessaire
contribution au redressement des finances publiques ». Sauf qu’elles
viennent d’apprendre que le gouvernement compte récidiver pour les trois
prochaines années. Les agences, elles aussi frondeuses, se
rebifferaient-elles ?
Enfin la grande question, mais nous n’étions que quelques uns à se la
poser, c’est l’absence dans ce genre de colloque de l’usager, ce cochon de
payant. Il paye 100 % du budget de l’eau et pourtant il est exclu de la
gouvernance du système. Par exemple, Lionel Le
Borgne, administrateur en charge du dossier eau à l’UNAF explique que
les consommateurs ne sont pas correctement traités dans le système en place.
Faux, me direz-vous, puisque l’usager a élu un maire pour le représenter, et
que lui -ce maire- a la compétence « eau ». Le système de démocratie
représentative ne fonctionnerait-il pas correctement ? Plusieurs
intervenants s’inquiètent, en effet, d’une absence chronique des élus.
Bernard Barraqué, directeur de recherche au CNRS et
membre de l’Académie de l’eau va plus loin et décrète « l’irresponsabilité
des élus ». Daniel Marcovitch, premier
vice-président du Comité National de l’Eau et de l’ONEMA, enfonce le clou et
explique que les élus n’assurent plus leurs responsabilités, puisqu’ils ont
délégué leurs compétences à des entreprises privées.
Jean-Luc Touly, Conseiller régional Île-de-France EELV,
depuis la salle, rappellera l’état de dépendance des élus, les grands groupes
de l’eau ayant un poids essentiel dans ce domaine. On pourrait presque
conclure que la réalité de la gouvernance de l’eau est entre leurs
mains !
Oh, je dois me tromper là !
Les liens.
Les agences par bassins versants
- Adour-Garonne (Toulouse)
- Artois-Picardie (Douai)
- Rhin-Meuse (Metz)
- Loire-Bretagne (Orléans)
- Rhône-Méditerranée-Corse (Lyon)
- Seine-Normandie (Nanterre)
Commentaires
Article troublant.
Si le ne suis pas convaincu par les opposants aux barrages, d'autant plus que dans ce cas-ci il semble bien qu'il y ait un besoin et que je crois savoir qu'il était question de refaire une zone humide ailleurs (et, tout n'étant pas simple en écologie, les zones humides produisent du méthane, puissant gaz à effet de serre), par contre l'article se situe peut-être bien sur le vrai terrain, l'opacité de la gestion de l'eau, l'importance des sommes en jeu et les croisements d'intérêts.
Le cas considéré ne milite pas pour une décentralisation de la gestion de l'eau ; ce dont je ne suis d'ailleurs pas partisan, pour ce type de raisons.
http://mobile.lemonde.fr/planete/ar...